MONTRÉAL — L’implantation de la 5G au pays pourrait se traduire par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES), en raison notamment de la fabrication d’une multitude d’objets qui seront connectés et de la consommation énergétique qui s’en suivra. Mais l’industrie croit au contraire que l’arrivée de la 5G se traduira par une amélioration de la performance énergétique des réseaux mobiles, ce qui favoriserait une baisse des émissions de GES.
La Presse Canadienne a tenté de faire le point sur le sujet.
Grâce à sa capacité à connecter massivement de très nombreux objets, la 5G est sur le point de révolutionner l’internet mobile. Elle permettra de connecter, à haut débit, une foule d’objets du quotidien. La télémédecine pourrait être démocratisée grâce à cette technologie qui facilitera la réalité virtuelle. Par exemple, des ambulanciers pourront éventuellement transmettre aux médecins, en temps réel, les images et les examens médicaux des patients qu’ils transportent à l’hôpital. L’ambulance pourrait rouler uniquement sur des feux verts en direction du centre hospitalier, car les feux de signalisation seront connectés aux véhicules d’urgence grâce à la 5G. La connexion d’objets augmentera l’automatisation et l’intelligence artificielle et transformera l’industrie minière, l’agriculture, les transports…
Mais cette révolution numérique pourrait s’accompagner d’impacts non négligeables sur l’environnement.
«Le déploiement de cette nouvelle technologie de communication vient avec la fabrication d’un certain nombre d’antennes, de capteurs dans les villes, avec la fabrication de nouveaux téléphones et de nouveaux objets connectés», souligne Martin Deron, chargé de projet pour le défi numérique de Chemins de transition, un projet de recherche affilié à l’Université de Montréal.
La fabrication d’une multitude de nouveaux objets connectés et de nouvelles infrastructures nécessitera l’extraction de métaux rares et de ressources naturelles non renouvelables et Martin Deron anticipe également une hausse de la consommation énergétique, liée aux nouveaux usages de ces appareils.
Son organisation se demande si le déploiement à grande échelle de la 5G est compatible avec les ambitions environnementales des gouvernements.
En France, une étude du Haut Conseil pour le climat, une organisation qui conseille le gouvernement, a conclu que le déploiement de la 5G entraînerait une augmentation de 18 à 45 % de l’empreinte carbone du secteur numérique en France d’ici à 2030.
Au Canada, il ne semble pas y avoir d’étude similaire et Environnement et Changement climatique Canada a indiqué à La Presse Canadienne que le ministère «n’a pas entrepris de recherche concernant les impacts possibles de la technologie 5G sur le niveau de gaz à effet de serre au Canada».
L’industrie avance que la 5G réduira les GES
Si certains s’inquiètent des effets de la 5G sur l’environnement, l’Association canadienne des télécommunications sans fil (ACTS), qui représente des entreprises qui sont impliquées dans son déploiement, croit au contraire que l’adoption de cette technologie «est essentielle pour réduire encore davantage l’empreinte carbone du Canada».
L’ACTS souligne que la 5G contribue à «augmenter de manière considérable l’efficacité énergétique des réseaux sans fil du Canada».
Un rapport commandé par l’ACTS conclut même que «le déploiement rapide et efficace des réseaux sans fil 5G jouera un rôle déterminant dans l’atteinte des engagements du Canada dans la lutte contre les changements climatiques».
L’ACTS fait valoir qu’une installation 5G consomme entre 8 et 15 % moins d’énergie qu’une installation 4G similaire.
Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique de France et professeur à l’école polytechnique de Paris, soutient qu’à trafic égal, la 5G utilise effectivement moins d’énergie que la 4G. En entrevue avec La Presse Canadienne, le professeur Benghozi mentionne que l’économie d’énergie de la 5G s’explique en partie par l’utilisation d’antennes qui permettent de diriger le signal radio directement vers les utilisateurs quand ils en ont besoin plutôt que d’émettre des signaux dans toutes les directions de manière constante.
Pour illustrer son propos, il fait un parallèle avec des «lampadaires intelligents».
«Quand vous vous baladez dans une rue la nuit, vous avez des lampadaires qui éclairent toute la rue; les antennes 4G aujourd’hui ou 3G, c’est un peu ça, c’est-à-dire qu’elles éclairent tout le quartier. Mais si on veut être efficace, on va éviter d’éclairer des endroits où il n’y a personne, n’est-ce pas?
«Alors ce qui serait intéressant, pour économiser de l’énergie, c’est que le lampadaire vous repère et vous éclaire en orientant le faisceau lumineux là où vous êtes. C’est ce que font les antennes actives» de la 5G, explique Pierre-Jean Benghozi.
L’effet rebond
Mais le chercheur Martin Deron craint que ces économies d’énergie soient annulées par l’explosion des usages du numérique, ce que les économistes appellent l’effet rebond.
L’effet rebond représente un effet économique contraire au résultat visé.
Par exemple, lorsqu’un fabricant de téléphones intelligents augmente l’efficacité de la batterie d’un appareil, les usagers ne vont pas nécessairement diminuer la fréquence de chargement de leur téléphone. C’est même souvent l’effet contraire qui se produit: l’efficacité de la batterie permet le développement de nouvelles applications, donc de nouveaux usages qui entraînent une augmentation de l’énergie utilisée.
«Cette révolution numérique s’accompagnera d’une hausse de la consommation énergétique, liée aux nouveaux usages des appareils connectés», soutient M. Deron.
De nouveaux usages bénéfiques pour l’environnement
Il est difficile d’envisager comment la 5G changera notre quotidien dans les prochaines années. On peut facilement prévoir que certains «nouveaux besoins» induits par la 5G solliciteront beaucoup d’énergie, mais d’autres usages pourraient également être bénéfiques pour l’environnement.
Par exemple, Telus, qui est en train de construire son réseau 5G, explique sur son site internet que des projets sont en cours sur une ferme de l’Alberta ou des capteurs ont été installés pour que l’agriculteur puisse consulter en temps réel le taux d’humidité du sol et la quantité de nutriment. Des robots ensemencent également le champ. Selon Telus, ces innovations, qui pourraient être popularisées grâce à la 5G, permettront aux fermes d’être plus efficaces et de diminuer les pertes agricoles, ce qui serait positif pour l’environnement.
Néanmoins, Martin Deron et l’organisation Chemins de transition croient qu’un débat public sur le déploiement de la 5G est nécessaire.
«Présentement, on installe la 5G parce qu’on est capable de le faire, pas parce que la société l’a demandé. Il faut se poser des questions sur l’impact environnemental», indique M. Deron, qui précise que son organisation n’est pas du tout «contre le progrès ou contre le numérique».
«Nous, on se demande comment faire converger la transition numérique et la transition écologique dans un horizon d’à peu près 20 ans au Québec. Comment est-ce qu’on peut faire ça de manière plus souhaitable?»
Le déploiement du réseau 5G au pays a connu un développement important l’été dernier avec la mise aux enchères, par le gouvernement fédéral, de licences pour utiliser le spectre de la bande de 3500 MHz, qui sera utilisée par les différentes entreprises de télécommunication. Rogers, Bell Telus, Vidéotron et Cogeco sont parmi les principales entreprises qui ont obtenu des droits de licence.