OTTAWA — Une nouvelle étude du ministère fédéral des Finances suggère que les parents seuls, les ménages à faible revenu et les immigrants récents sont les plus susceptibles de voir leurs «revenus supplémentaires» s’effriter au bout du compte.
Les travailleurs qui vivaient au Québec et ceux qui sont âgés de 35 à 44 ans sont également plus susceptibles de voir s’effriter leurs revenus supplémentaires, gagnés en travaillant plus d’heures ou en décrochant un emploi mieux rémunéré.
Dans certains cas, l’analyse fédérale, qui repose sur les données de 2017, a révélé que ces groupes de travailleurs étaient plus susceptibles de voir 50 % ou plus de leurs revenus grugés par un taux d’imposition plus élevé ou une récupération des prestations gouvernementales — voire une combinaison des deux.
Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes de perdre 60 % ou plus de leurs revenus supplémentaires, ce que l’analyse récemment publiée attribue à leur dépendance légèrement plus importante aux prestations sociales fédérales.
Pour Katherine Scott, économiste principale au Centre canadien de politiques alternatives, cette étude donne du crédit aux appels des défenseurs de la lutte contre la pauvreté et des entreprises en faveur d’un examen approfondi du système fiscal.
Mme Scott estime qu’un tel examen est nécessaire parce que le système fiscal actuel a été conçu à une autre époque et qu’il ne tient pas pleinement compte de l’économie telle qu’elle est actuellement structurée. Ce décalage crée, selon elle, des choix difficiles pour ceux qui travaillent plus, mais qui n’en retirent pas grand-chose finalement.
«C’est ainsi que fonctionne le système: vous êtes pris entre le marteau et l’enclume», a déclaré Mme Scott.
En moyenne, les travailleurs ont perdu 341 $ pour chaque augmentation de 1000 $ de leurs revenus, selon les données de 2017 sur lesquelles s’appuie le ministère des Finances.
De ce montant, environ 146 $ étaient liés à des paiements plus élevés d’impôt fédéral sur le revenu, 23 $ à une baisse des prestations fédérales, comme l’Allocation canadienne pour enfants, calculée en fonction du revenu, et 45 $ aux charges sociales. Pour les 127 $ restants, il s’agit d’une combinaison d’impôts provinciaux et de prestations provinciales perdues, comme l’aide sociale.
Les personnes les plus durement touchées sont celles qui gagnent entre 24 739 $ et 33 724 $: elles ont perdu en moyenne environ 413 $ pour chaque tranche de 1000 $ de revenus supplémentaires. Cette moyenne était juste au-dessus de la perte enregistrée par les 10 % des personnes ayant les revenus les plus élevés.
L’étude indique que la proportion de travailleurs à faible revenu qui ont perdu 50 % ou plus de leurs revenus supplémentaires était deux fois plus grande que la proportion de travailleurs dans la tranche de revenu la plus élevée du pays.
Décourageant de travailler plus
Ne pas être beaucoup mieux nanti ou ne pas pouvoir mieux se débrouiller financièrement après une augmentation de ses revenus pourrait amener des Canadiens à y réfléchir à deux fois avant de travailler plus d’heures — ou pourrait en pousser d’autres à rester complètement en dehors du marché du travail.
Le fait qu’une grande partie de la population soit confrontée à la possibilité de perdre la moitié ou plus de ses revenus supplémentaires «peut constituer un obstacle au succès de politiques visant à accroître l’offre de travail à la marge intensive», écrit le ministère des Finances dans l’étude.
Comprendre comment l’interaction d’une hausse des impôts et d’une baisse des prestations influe sur les décisions des travailleurs a été l’objectif des bureaucrates pendant des années pour réduire le facteur de dissuasion au travail.
«Pour les particuliers et les familles, l’anticipation de ne guère améliorer sa situation ou même de l’empirer, à la suite d’une augmentation des revenus de travail, peut constituer un frein au travail supplémentaire», lit-on dans l’étude.
En théorie, ces «taux effectifs marginaux d’imposition», comme on les appelle, peuvent montrer aux décideurs politiques une voie pour inciter les gens à travailler davantage, mais cela ne se traduit pas nécessairement par des résultats concrets, a déclaré Garima Talwar Kapoor, directrice des politiques et de la recherche au sein du groupe de réflexion anti-pauvreté Maytree.
«Les décideurs veulent croire que les gens pensent à ces choses-là, mais en fait, ce n’est pas la façon dont les gens prennent leurs décisions de vie, a-t-elle déclaré. Il y a beaucoup d’autres facteurs.»
Elle a souligné notamment la baisse du nombre de femmes sur le marché du travail pendant la pandémie: il s’agissait plus souvent d’un manque de disponibilité des services de garde, plutôt que de savoir si travailler plus allait faire perdre à ces femmes des allocations familiales, estime Mme Talwar Kapoor.
C’est pourquoi elle croit que les décideurs politiques devraient rechercher des moyens d’aider les travailleurs à faible revenu, en particulier, à maintenir leurs prestations sociales tout en renforçant leur lien au marché du travail.