MONTRÉAL — Les propriétaires de cabanes à sucre aux quatre coins du Québec rouvrent leurs salles à manger pour la première fois depuis le début de la pandémie, et étrangement, ils attribuent à la COVID-19 le mérite de revitaliser leur secteur.
L’expérience printanière de la cabane à sucre — manger des fèves au lard et du jambon à de longues tables avec des inconnus, profiter de promenades en tracteur dans la neige fondante et grignoter de la tire d’érable sur des bâtons de bois — était en déclin avant la pandémie.
Mais deux ans de confinement lié à la COVID-19 ont contraint le secteur à réinventer un modèle commercial dépassé. Certains disent même qu’il est plus durable qu’avant la crise sanitaire.
«Nous faisions la même chose depuis 50 ans», fait valoir Camélie Gingras, gérante de la cabane à sucre La Goudrelle à Mont-Saint-Grégoire, en Montérégie, en entrevue. «Quand j’ai dit à mon grand-père de 84 ans que nous allions faire des repas en boîte pour les commandes en ligne, je peux vous dire qu’il m’a regardé avec un point d’interrogation sur le visage.»
Mme Gingras et d’autres propriétaires de cabanes à sucre attribuent le renouveau du secteur à une plateforme de vente au détail en ligne lancée en février 2021 qui leur permet de vendre des versions à emporter des repas printaniers traditionnels. Créée par Association des cabanes à sucre du Québec, la plateforme Ma Cabane à la Maison a contribué à réinventer l’expérience.
Les propriétaires d’érablière peuvent désormais vendre leurs produits en ligne toute l’année. Ils peuvent également opter pour un modèle hybride: rouvrir pour une expérience culinaire intérieure limitée, avec des frais généraux réduits, et vendre également des repas à emporter.
«Les gens qui n’allaient pas dans les cabanes à sucre avant la pandémie commandent maintenant nos repas pour manger à la maison, témoigne Mme Gingras. C’est une si belle opportunité pour nous.»
La pandémie aurait pu être exactement ce dont les cabanes à sucre du Québec avaient besoin pour réorganiser leurs offres traditionnelles et ternes, dit Stéphanie Laurin, présidente de l’Association des cabanes à sucre du Québec. Avant la pandémie, l’industrie était confrontée à une menace existentielle: le manque de relève pour reprendre les entreprises dans un contexte de vieillissement des propriétaires.
Il y a dix ans, il y avait plus de 200 cabanes à sucre à travers le Québec. Ce nombre était tombé à environ 140 avant la pandémie, précise Mme Laurin.
«Nous étions pris dans nos anciennes habitudes et nos traditions, et nous n’osions pas évoluer», soutient Mme Laurin, qui gère également la cabane à sucre Chalet des Érables dans les Laurentides.
«La pandémie nous a fait réaliser que nous avions stagné alors que la société était à un endroit où nous avions besoin de boutiques en ligne et que les choses soient accessibles.»
L’année dernière, l’association estime que la plateforme en ligne a généré 11,5 millions de dollars de revenus pour les entreprises participantes sur une période de huit semaines. De plus, Mme Laurin spécifie que 75% des clients interrogés ont déclaré qu’ils souhaitaient que la boutique en ligne soit permanente, même si les salles à manger étaient autorisées à rouvrir.
«Nous avons été sidérés de savoir cela, affirme. Nous avons écrit un nouveau chapitre de l’histoire de la cabane à sucre au Québec!»
Des 70 entreprises qui ont participé au projet en 2021, 50 ont décidé d’y rester cette année, ajoute Mme Laurin.
Mélanie Charbonneau, co-propriétaire d’Érablière Charbonneau, à Mont-St-Grégoire, est l’une d’entre elles. Quand le gouvernement québécois a donné son aval à la réouverture des salles à manger, c’était au début de la saison des cabanes à sucre. Elle a jugé plus prudent d’adopter un modèle hybride.
«On ne peut pas rouvrir une cabane à sucre à seulement quelques semaines d’avis, dit Mme Charbonneau. Il faut un plan. Ces repas dans ces boîtes de métal sont comme une assurance.»
Elle souligne qu’en vendant ces produits pendant toute l’année par internet, son entreprise est encore plus rentable qu’avant la pandémie.
«Quand les gens ne peuvent plus faire de réservation ou se rendre dans une salle à manger, ils achètent des repas à apporter. Il existe une vraie demande. C’est là pour de bon, à mon avis. La pandémie aura eu ça de positif.»
Pierre Gingras, co-propriétaire de la Grillade, une cabane à sucre de St-Alphonse-de-Granby, le modèle hybride lui permet de moins s’inquiéter du manque de main-d’œuvre qui a été aggravé par la pandémie. Selon lui, il est particulièrement difficile de trouver du personnel pour les cabanes à sucre parce que la saison suit son cours habituellement de février à la fin d’avril. De plus, le secteur doit subir la concurrence des restaurants dans toute la province pour recruter des employés.
Mme Laurin dit que la combinaison d’une salle à manger et des plats à emporter est la route du succès pour les cabanes à sucre.
«Netflix n’empêche pas les salles de cinéma d’exister, compare-t-elle. L’un encourage l’autre. Pourquoi les gens ne pourraient pas commander un repas et aussi profiter vivre l’expérience d’un repas à la cabane à sucre pendant la saison?»