Moderniser la station d’épuration pour éviter la féminisation des poissons

Stéphane Blais, La Presse Canadienne
Moderniser la station d’épuration pour éviter la féminisation des poissons

MONTRÉAL — L’écosystème marin du Saint-Laurent devrait sortir gagnant des travaux de modernisation de la station d’épuration de Montréal, car actuellement, le rejet de certains médicaments dans les eaux usées menace la qualité de l’eau et perturbe la faune et la flore aquatique, au point où certains poissons mâles peuvent se transformer en femelles.  

Le Saint-Laurent est rempli de composés de produits pharmaceutiques, rejetés dans le fleuve à travers l’urine de ceux qui les consomment. Plusieurs scientifiques s’inquiètent des effets de ces produits, comme les perturbateurs endocriniens que l’on retrouve dans les pilules contraceptives, qui peuvent causer le déclin de certaines espèces. 

«Il y a plusieurs études qui ont prouvé que si on expose des populations à des concentrations assez faibles de ces substances là, par exemple les ingrédients actifs dans la pilule contraceptive, ça peut causer l’effondrement des populations de poissons parce qu’après quelques années, on voit qu’il y a juste des femelles», indique Pedro Alejandro Segura, professeur de chimie à l’Université de Sherbrooke. 

Le début des travaux de modernisation de la station d’épuration des eaux usées J.-R.-Marcotte de Montréal vise notamment à prévenir ce type de bouleversement écologique et la Ville a qualifié cette démarche «du plus important projet environnemental des dernières décennies à Montréal».  

Mercredi, le comité exécutif de la Ville a autorisé l’octroi d’un contrat de 93,2 millions $ à l’entreprise Pomerleau, «marquant ainsi le début des travaux visant à implanter un procédé de désinfection des eaux usées à l’ozone à la station d’épuration des eaux usées». 

Le procédé d’ozonation a été choisi parce qu’il permet de purifier davantage l’eau à traiter, en la débarrassant non seulement des bactéries et des métaux, mais aussi des virus, des antibiotiques et de divers produits pharmaceutiques qui y demeurent avec les procédés traditionnels d’assainissement. 

L’ozonation «permettra la réduction de près de 100 % des virus et des bactéries et de 75 % à 85 % des résidus pharmaceutiques qui se trouvent dans l’eau traitée rejetée au fleuve», indique la Ville dans un communiqué. 

«L’ozonation est une bonne décision, ça va contribuer beaucoup à la santé du fleuve», soutient le professeur Segura. 

Des poissons intoxiqués au Prozac 

Parmi les autres contaminants que les humains rejettent dans le fleuve et que le procédé d’ozonation permettra d’éliminer, il y a les antidépresseurs, qui réduisent l’activité cérébrale des poissons, selon Pedro Alejandro Segura, qui a étudié les contaminants présents dans le fleuve lors de sa thèse de doctorat. 

«On consomme beaucoup d’antidépresseurs au Québec et ça peut causer des effets sur les comportements des espèces aquatiques, des effets un peu subtils, par exemple le poisson ne va pas manger autant qu’avant, ou alors il va bouger différemment, il va se déplacer peut-être plus lentement», explique le chimiste en ajoutant que beaucoup de ces phénomènes font actuellement l’objet d’études. 

Pedro Alejandro Segura se veut toutefois rassurant en ce qui concerne les humains. La concentration de produits pharmaceutiques dans l’eau est trop faible pour nuire à la santé d’une personne, selon lui. 

«C’est sûr qu’il y a des risques d’exposition, mais pas en buvant de l’eau par exemple. Les risques les plus grands seraient au niveau de la baignade dans les zones proches du point de rejet des eaux usées de la ville de Montréal.» 

Résistance aux antibiotiques 

Aux dangers des perturbateurs endocriniens et des antidépresseurs pour la faune aquatique, s’ajoute celui des antibiotiques. L’accumulation de la présence d’antibiotiques dans le fleuve et éventuellement dans l’environnement peut faire en sorte que certaines bactéries pathogènes développent de la résistance aux antibiotiques, explique la chercheuse à Polytechnique Émilie Bédard.  

«Dans le cas où une bactérie pathogène pour l’humain devient résistante aux antibiotiques, le traitement de la maladie devient plus complexe, parce que la bactérie ne réagira pas aux traitements habituels», souligne l’ingénieure en génie chimique.

D’où l’importance de réduire la présence de gènes de résistance aux antibiotiques dans les effluents des stations d’épuration, et selon Pedro Alejandro Segura, l’ozonation est une façon d’y arriver. 

Les travaux de désinfection à l’ozone des eaux sortant de la station d’épuration de Montréal se termineront en 2025, après quoi, selon l’administration municipale, elle sera « la plus grande usine de ce type au monde». 

La station de Montréal traite 45 % des eaux domestiques de la province.

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