OTTAWA — Le grand patron d’Air Canada a assuré lundi que le français est une « priorité » pour le transporteur aérien établi à Montréal et s’est engagé à « faire mieux », ce qui n’a pas du tout impressionné les députés.
« Je suis désolé. Je m’excuse encore ici », a déclaré dans un français laborieux le président et chef de la direction, Michael Rousseau, qui prenait la parole publiquement pour la première fois depuis qu’il a soulevé un immense tollé à propos de son unilinguisme.
M. Rousseau, qui avait prononcé en novembre une allocution en anglais à Montréal et avait dit avoir réussi à vivre pendant 14 ans dans la métropole sans avoir à parler français, ce qui est « tout à l’honneur » de la ville, a reconnu que ses propos étaient « insensibles ».
« J’admets que j’ai fait une erreur en n’apprenant pas à parler français quand je me suis joint à Air Canada et je corrige cette erreur à ce stade-ci », a-t-il ajouté lors du témoignage en vidéoconférence devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes.
En réponse au vice-président bloquiste du comité, Mario Beaulieu, qui tentait de s’enquérir de l’évolution de son apprentissage de la langue de Molière, M. Rousseau a déclaré qu’il suit chaque matin des leçons données par des tuteurs de firmes réputées.
« Et ils me donnent des devoirs (…) que je complète pour le lendemain ou la prochaine session, a-t-il dit. La routine, c’est (des leçons) chaque matin et des devoirs pratiquement chaque soir. »
« Un moment s’il vous plaît »
La compagnie aérienne, qui est soumise à la Loi sur les langues officielles, comprend son obligation de communiquer avec ses clients dans la langue officielle de leur choix, a soutenu le PDG.
M. Rousseau a expliqué que les employés unilingues anglophones incapables de servir un client francophone ont la directive de dire « un moment s’il vous plaît » pour les mettre en contact avec un employé francophone, soit en cherchant un collègue ou en composant un numéro interne lorsque ça se déroule à l’aéroport.
Le client « va finalement faire le pas et parler en anglais », a expliqué René Arseneault, le président du comité, se demandant s’il n’y a pas de meilleure façon de régler cela, ce à quoi M. Rousseau a répondu que « la méthode actuelle est plutôt efficace ».
Le conservateur Joël Godin, vice-président du comité, lui a lancé que « ça fait 45 ans » que la majorité des commissaires aux langues officielles démontrent « un problème systémique » chez Air Canada.
Lorsque M. Rousseau lui a indiqué que la langue parlée au conseil d’administration est l’anglais, le député lui a demandé comment l’importance de respecter la langue française peut se répercuter dans l’ensemble de l’organisation.
La compagnie s’adresse à ses employés dans les deux langues officielles et la moitié de ses employés sont bilingues, s’est-il fait répondre.
Treize heures par employé
La députée néo-démocrate Niki Ashton a d’emblée dit être déçue que non seulement la présentation du président d’Air Canada n’était pas à moitié en français, ce qui serait le « minimum », mais qu’en plus toutes ses réponses étaient en anglais, alors qu’il comparaissait devant un comité qui a pour but de « maintenir l’usage du français ».
Air Canada fait preuve d’un « manque de respect pour le français systémique », a tranché Mme Ashton face à « l’exemple » que donne le PDG.
Depuis 2016, Air Canada dit avoir fourni plus de 130 000 heures de cours à 10 000 employés pour leur apprendre à parler le français. Le transporteur aérien affirme faire du « maintien de l’acquis » pour ses employés bilingues et développer des cours pour que des employés puissent se « qualifier » comme bilingues.
« Si je calcule vite, ça fait 13 heures par employé, a envoyé à Michael Rousseau le député conservateur Jacques Gourde qui n’était absolument pas impressionné. Pensez-vous vraiment que 13 heures (…) ça peut vraiment faire une différence ? »
Le député a immédiatement coupé la parole à un vice-président du transporteur aérien à qui le PDG a tenté de refiler la question.
« Excusez ! J’ai posé la question à M. Rousseau. Est-ce qu’il juge lui, il prend des cours M. Rousseau présentement, il sait que c’est très difficile d’apprendre le français pour un unilingue anglophone, est-ce que 13 heures c’est suffisant (…) ou Air Canada devrait monter à 130 heures, parce que 13 heures, c’est vraiment ridicule ? »
« Pour un anglophone, d’apprendre le français, est très difficile », a admis M. Rousseau.
À la sortie de la salle du comité, le député a qualifié de « révoltant ce boutte-là » où Air Canada a tenté d’« impressionner le comité » avec les 130 000 heures de formation qui ne représentent en fait que « moins de deux heures » par année.
En réponse à une députée libérale qui l’a questionné sur la façon dont Air Canada mesurera sa performance en matière de bilinguisme, le PDG a mentionné qu’une diminution des plaintes serait un « indicateur clé ».
Le député Joël Godin a dit être déçu du témoignage de M. Rousseau. « C’est très inquiétant, a-t-il déclaré. Ils ont la volonté, mais ils ne trouvent pas les moyens. (…) C’est culturel. C’est intégré dans la mentalité des gestionnaires. »
« C’est choquant, a renchéri M. Beaulieu. On a l’impression de faire rire de nous autres. Si après cinq mois d’apprentissage intensif du français M. Rousseau ne peut pas répondre à de simples questions en français, qu’il nous dise qu’ils offrent quelques heures de cours de français à leurs employés unilingues, ce n’est pas du tout rassurant. »
Selon lui, Air Canada doit embaucher plus de francophones à tous les niveaux de l’organisation, « à commencer par le conseil d’administration ». Pour le moment, le fait qu’Air Canada fasse du « déni » et « minimise » le problème fait en sorte que « ça ne regarde pas bien pour l’avenir ».
Air Canada dit avoir mis en place dans les dernières semaines un département dédié aux langues officielles pour suivre les progrès du transporteur, dépensé davantage en formation et créé un prix pour la promotion du bilinguisme. De plus, il offrira un bonus aux employés qui réfèrent un candidat bilingue pour un poste.
– Avec des informations d’Émilie Bergeron