Ukraine: la décision de partir peut être un couteau à double tranchant

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Ukraine: la décision de partir peut être un couteau à double tranchant

MONTRÉAL — La décision de milliers de personnes de partir pour l’étranger dans l’espoir d’aider le peuple ukrainien pourra être un couteau à double tranchant, prévient un expert.

Si certains en reviendront gonflés à bloc et heureux, d’autres pourraient en revanche rentrer à la maison défaits et perdus, a dit le professeur Robert Vallerand, du département de psychologie de l’UQAM, et les répercussions sur la santé physique et psychologique de l’aidant dépendront souvent de sa motivation à partir.

«C’est sûr que si tu rames dans une chaloupe qui prend l’eau, tu risques d’aller moins loin si en même temps tu dois faire sortir de l’eau de la chaloupe, que si ta chaloupe est en bon état, puis là tu rames, puis ça va bien, puis on progresse», a-t-il illustré.

En d’autres mots, ceux qui partent dans l’espoir de «colmater une brèche» dans leur vie, de combler un certain vide, risquent d’avoir une expérience radicalement différente, et possiblement plus négative, que ceux qui partent alors que tout va plutôt bien pour eux.

Des travaux auxquels le professeur Vallerand a participé ont ainsi démontré que ceux dont la passion est «harmonieuse» (en opposition à la passion «obsessive» des autres) pourront en retirer une amélioration de leur santé physique et de leur sentiment de bien-être.

«Si tu pars et que déjà ça va bien, on sait que le fait d’aider les autres, c’est un élément de bien-être, a-t-il dit. Les gens ne s’oublient pas dans l’aide apportée. L’aide aux autres vient ajouter à leur vie et non pas remplacer quelque chose.»

Mais ceux qui sont poussés par une passion obsessive à prendre l’avion pour aller servir de la soupe dans un camp de réfugiés en Pologne pourront en revanche finir par considérer que la cause est plus importante qu’eux-mêmes, «et la dernière chose qu’il faut faire dans ces situations d’aide internationale ou d’aide humanitaire, c’est de s’oublier dans l’équation parce que tu vas finir par souffrir», a prévenu le professeur Vallerand.

Retour

Au retour, ces aidants pourront être confrontés à un vide tout aussi grand, voire encore plus grand, que celui qu’ils espéraient combler.

«Pour l’aidé, il y a probablement eu (…) une aide qui est importante, a dit le professeur Vallerand. Mais pour l’aidant, ça n’aura rien réglé encore parce que la personne risque de se retrouver dans ‘x’ temps à chercher encore une autre action qui pourrait compenser pour le vide relatif qu’on retrouve chez elle.»

Les aidants pourront peiner à décrocher de leur expérience et tout s’enchevêtrera dans leur esprit, les bons coups comme les mauvais coups. Certains, habités parce qu’ils auront vu ou vécu là-bas, pourront même être victimes d’un trouble du stress post-traumatique.

Donc, pour être en mesure de prendre soin des autres, il faut tout d’abord prendre soin de soi-même.

«On a vu dans certaines entrevues qu’on a faites que les gens nous disaient qu’ils prenaient des risques pour eux-mêmes et pour ceux qu’ils vont aider, a indiqué le professeur Vallerand. Donc tes choix, tes prises de décision, ne sont pas optimaux si tu es là pour compenser puis te donner, comme on dit en bon québécois, un petit ‘boost’ psychologique.

«Si c’est ce à quoi tu aspires, si c’est ce que tu recherches, éventuellement le petit ‘wow’ t’amène à prendre des risques peut-être démesurés pour booster ton feeling de contribution.»

Ceux qui partent et dont la vie va déjà plutôt bien auront peut-être besoin d’en faire un petit peu moins pour se sentir bien que ceux qui partent «à moins deux», a-t-il ajouté.

Et que la passion soit harmonieuse ou obsessive, ceux qui rentreront au pays devront à ce moment potentiellement composer avec les retombées de leur absence, par exemple face à ceux et celles qui sont restés derrière pour garder le fort et qui n’étaient peut-être pas d’accord avec la décision ― ou comme le dit le professeur Vallerand, il «faut s’assurer qu’on on ne crée pas de problèmes chez soi avant d’aller régler des problèmes ailleurs».

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