HALIFAX — À l’ouverture de l’enquête publique sur les raisons pour lesquelles le vétéran de la guerre en Afghanistan Lionel Desmond avait tué sa famille avant de se suicider, en 2017, l’une des questions clés était de savoir comment il avait eu accès à un fusil d’assaut.
Plus de cinq ans après les meurtres commis en Nouvelle-Écosse, la commission d’enquête provinciale a entendu mardi son dernier témoin: le contrôleur des armes à feu de la province.
John Parkin, qui avait déjà témoigné auparavant, a dû répondre à d’autres questions concernant l’achat par M. Desmond d’un fusil semi-automatique, qu’il a utilisé le 3 janvier 2017 pour tuer sa femme, sa mère et sa fille de 10 ans, avant de retourner l’arme contre lui.
L’enquête, qui avait entendu ses premiers témoins en janvier 2020, a appris mardi que le permis d’armes à feu de l’ancien fantassin avait été suspendu en décembre 2015, après son arrestation au Nouveau-Brunswick en vertu de la Loi sur la santé mentale de cette province.
À l’époque, sa femme Shanna, alors en Nouvelle-Écosse, avait prévenu la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qu’elle avait reçu des messages indiquant que l’ancien caporal – qui avait été diagnostiqué en 2011 de dépression majeure et d’un syndrome de stress post-traumatique grave – envisageait de se suicider dans leur maison à Oromocto, au Nouveau-Brunswick.
Le permis d’armes à feu de M. Desmond a toutefois été rétabli en mai 2016, après qu’un médecin du Nouveau-Brunswick a signé un formulaire d’évaluation médicale attestant qu’il était «non suicidaire et stable».
«Il exprimait facilement ses émotions et il avait des raisons de vivre», déclarait le Dr Paul Smith à l’enquête, le 24 février 2020. Le médecin a dit à l’époque qu’il ne savait pas que sa recommandation aurait autant de poids. En fait, il s’attendait à ce que le permis soit ensuite refusé par la GRC ou une autre instance.
«État instable»
Au moment où le docteur Smith a signé le formulaire, M. Desmond recevait également des soins de professionnels de la santé dans une clinique pour traumatismes liés au stress, à Fredericton. Ces professionnels avaient déterminé que son état mental était devenu si instable qu’il avait besoin de soins spécialisés dans une clinique de Montréal.
Le Dr Anthony Njoku, psychiatre à la Clinique des traumatismes liés au stress opérationnel, à Fredericton, a déclaré à l’enquête, en février 2020, que M. Desmond était irritable, distrait, bouleversé et sujet à des pensées intrusives qui l’avaient forcé à revivre des expériences traumatisantes alors qu’il était soldat en Afghanistan en 2007.
Le psychiatre a toutefois déclaré que l’ancien militaire était en fait plus préoccupé par sa femme, qu’il soupçonnait de gaspiller de l’argent et de comploter contre lui – des pensées que le psychiatre a décrites comme à la limite du délire. Le docteur Njoku a déclaré qu’il ne pouvait pas déterminer si la colère de M. Desmond envers sa femme était le résultat de son syndrome post-traumatique ou le sous-produit d’une rupture dans le couple.
Aucune de ces informations n’a été partagée à l’époque avec les responsables fédéraux ou provinciaux des armes à feu, car la clinique de Fredericton n’était pas tenue de le faire.
Déclaration obligatoire ?
Le juge de la cour provinciale qui préside l’enquête, Warren Zimmer, a suggéré à M. Parkin, mardi, que les professionnels de la santé devraient être tenus, ou du moins encouragés, à informer les autorités lorsqu’ils détectent une détérioration de la santé mentale de patients qui détiennent un permis d’armes à feu.
Le juge Zimmer a rappelé que les professionnels de la santé de certaines provinces sont actuellement tenus d’alerter les autorités lorsque les patients qui ont seulement un permis de conduire sont atteints de troubles mentaux ou physiques qui pourraient les rendre dangereux sur les routes.
«Il y a des provinces qui le rendent obligatoire, et ça ne semble pas créer beaucoup de contestations, parce que c’est obligatoire», a souligné M. Zimmer, répondant aux préoccupations soulevées plus tôt par M. Parkin.
Le juge a laissé entendre que son rapport final, attendu cet automne, comprendra une recommandation pour que les gouvernements adoptent une loi qui obligerait les professionnels de la santé à divulguer de telles informations aux responsables des armes à feu, y compris des mises à jour sur les médicaments et les relations avec les proches.
«L’aspect important, c’est de mettre ces informations entre vos mains afin que vous puissiez prendre une décision sur la manière de faire le suivi», a dit le juge.
«Travail en silos»
Lors d’une précédente audience, le juge avait souligné que les fonctionnaires provinciaux et fédéraux semblaient fonctionner dans des «silos» qui les empêchaient de partager des informations clés.
Par exemple, les responsables des armes à feu et des soins de santé de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont témoigné qu’ils n’étaient pas au courant de l’étendue de la maladie mentale de M. Desmond, parce qu’ils n’avaient pas accès à ses dossiers fédéraux.
Entre autres choses, l’enquête tente également de déterminer si la famille Desmond a eu accès à des services d’aide en santé mentale et en prévention de violence domestique. L’enquête vise aussi à déterminer si les professionnels de la santé qui ont croisé M. Desmond étaient adéquatement formés pour détecter les problèmes de santé mentale et la violence domestique.
Les avocats participants à l’enquête doivent présenter leurs plaidoiries finales pendant la semaine du 18 avril.