Le long parcours de Mary Spencer jusque chez les boxeuses professionnelles

Frédéric Daigle, La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Mary Spencer disputera samedi son quatrième combat chez les professionnelles. À 37 ans, on peut dire que le chemin jusque-là a été très long.

Spencer a livré 177 combats chez les amateurs, remporté trois championnats du monde et les Jeux panaméricains, en plus d’être une pionnière de son sport en participant aux Jeux olympiques de Londres, les premiers à accueillir des boxeuses.

C’est d’ailleurs pour cette participation olympique que son parcours chez les professionnelles a été retardé.

«Je me rappelle qu’on m’a offert pour la première fois de devenir professionnelle il y a 17 ans, en Russie, a-t-elle raconté mercredi, lors de l’entraînement public présenté à l’Académie de boxe Ramsay. Je venais de gagner mon premier championnat mondial et je descendais un escalier vers le vestiaire quand une femme corpulente dans un manteau de fourrure m’a bloqué le chemin pour m’offrir un contrat professionnel sur-le-champ! On m’a tirée de là, car je devais me rendre à l’antidopage, et je ne l’ai plus revue. Mais plus sérieusement, j’avais des aspirations. Je voulais participer aux Jeux olympiques, qui n’étaient pas ouverts aux boxeuses à ce moment-là.

«Je faisais donc toutes les compétitions internationales auxquelles je pouvais participer. Quand on a appris que les femmes participeraient aux JO (en 2009), nous avions aussi appris que seulement trois divisions de poids seraient ouvertes, mais pas la mienne. Je devais donc monter chez les moyennes ou renoncer aux JO. J’ai donc fait le saut des 64 kg aux 75 kg. J’ai gagné un titre mondial à ce poids, j’ai gagné les Panam à 75 kg, et je suis allée aux Jeux à 75 kg.»

Spencer s’est inclinée à son premier combat à Londres, en quarts de finale contre l’éventuelle médaillée de bronze, la Chinoise Jinzi Li.

«Après, j’ai passé près de deux ans à être déprimée par ma performance, à un point tel que je me suis éloignée de la boxe. J’avais aussi perdu mon entraîneur à ce moment-là. Six mois avant les Jeux, il avait été impliqué dans un grave accident d’auto, subissant un sévère traumatisme crânien. Heureusement, il est toujours en vie, mais je l’ai perdu comme entraîneur. Mes performances étaient de moins en moins bonnes, et j’avais besoin de réfléchir pour déterminer si j’avais encore le désir de faire de la boxe.»

Cette réflexion l’a menée jusque dans le Grand Nord canadien.

«Je suis partie à Kashechewan, dans le nord de l’Ontario. J’y suis restée quelques années, un peu incognito. Je faisais du sport avec les jeunes. Mon travail consistait à développer des activités afin que les jeunes Amérindiens ne traînent pas dans les rues. J’ai opté pour le basketball, car je ne voulais pas toucher à la boxe. Mais les jeunes ont trouvé des images de moi sur internet, et ils m’ont demandé pourquoi on faisait du basket. ‘Tu es correcte au basket, mais tu es bien meilleure à la boxe!’, m’ont-ils dit!

«J’avais quand même apporté mon équipement de boxe, alors je l’ai sorti. En leur enseignant la boxe, ma passion est revenue», a-t-elle confié.

Forcément, ce n’est pas passé inaperçu.

«Lors d’un de mes voyages à la maison, Windsor à ce moment-là, pendant les vacances de Noël, quelques entraîneurs de Detroit m’ont proposé de devenir professionnelle. Ils avaient un plan pour me faire boxer chez les 168 livres (super-moyennes) et être une adversaire pour Claressa Shields. C’était autour de 2017, et Claressa plaçait ses pions à ce moment: la boxe pro s’ouvrait aux femmes. Moi, je me disais que ces gars-là ne me connaissaient pas s’ils croyaient que j’étais une super-moyenne. Quand je boxais à ce poids-là chez les amateurs, j’étais toujours au-dessus de mon poids. Si je devenais pro, j’allais le faire à mes conditions, à 147 livres.»

Après quelques autres combats chez les amateurs, elle fait le saut chez les professionnelles. Elle vit maintenant à Montréal, où elle boxe sous la tutelle d’Ian McKillop. Puis, la pandémie a mis la boxe K.-O..

«Il y avait bien des gens qui se battaient ailleurs sur la planète, alors je me suis débrouillée pour livrer quelques combats, certains à un poids un peu plus élevé que chez les mi-moyennes, et puis j’ai rencontré un promoteur super et me voilà ! J’ai hâte de montrer tout le travail que j’ai fait et tout ce que j’ai amassé comme bagage depuis 20 ans dans la boxe.»

Le public montréalais sera en mesure de le constater pour une première fois samedi, quand Spencer (3-0, 2 K.-O.) sera l’une des têtes d’affiche du gala présenté au Casino de Montréal. En Beatriz Aguilar (7-6-1, 1 K.-O.), elle affronte pour la première fois une athlète avec la fiche gagnante — ce que ses détracteurs lui ont reproché jusqu’ici.

«Je tente d’avoir les meilleures adversaires possibles. Ceci dit, toutes les adversaires que j’ai affrontées chez les professionnelles n’étaient pas celles avec qui j’avais signé un contrat, a précisé la pugiliste de 37 ans. J’ai appris sur mon vol en direction du Mexique que j’allais affronter une fille avec une fiche de 4-16-1 (à son premier combat, NDLR). Je n’étais pas enchantée du tout. Je l’ai battue en un round et me suis dit que si ces filles voulaient monter sur le même ring que moi, alors j’allais leur faire payer le prix.»

Mais elle a de grandes ambitions et Eye of the Tiger Management, qui l’a récemment mise sous contrat, compte lui faire gravir les échelons rapidement, que ce soit à 147 ou 154 livres.

«Mon objectif premier chez les professionnelles est de me battre contre Shields, à mon poids. Je l’ai affrontée deux fois dans sa division de poids; j’aimerais bien le faire à 147 livres. Mais c’est clair que je vois d’autres femmes avec des ceintures et je ne suis pas passée chez les professionnelles pour un combat. L’une d’entre elles est détenue par une fille ici au Québec: c’est clair que je veux mettre ma main dessus», a-t-elle affirmé, en parlant du titre de l’International Boxing Federation de super-mi-moyennes (154 lbs), détenu par Marie-Ève Dicaire.

Chez les 147 livres, l’Américaine Jessica McCaskill détient les quatre ceintures. Spencer a l’athlète de Chicago dans sa ligne de mire. Mais à 37 ans, aura-t-elle le temps d’accomplir tous ses objectifs?

«Les gens me disent que je n’ai pas le temps, mais à ma connaissance, il n’y a pas de limite d’âge. Mon corps à 37 ans est dans la meilleure condition qu’il n’a jamais été», a-t-elle assuré.

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