Une nouvelle caméra infrarouge pour «voir» à travers la neige et le brouillard

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Une nouvelle caméra infrarouge pour «voir» à travers la neige et le brouillard

MONTRÉAL — Des voitures autonomes qui «voient» au travers de la neige et du brouillard, des caméras qui identifient les fruits et légumes périmés et des détecteurs de gaz toxiques plus performants ne sont que quelques-unes des applications éventuelles possibles d’une technologie que perfectionnent des chercheurs de Polytechnique Montréal.

L’équipe du professeur Oussama Moutanabbir est à développer un photodétecteur fait de semi-conducteurs fabriqués maison sur puces de silicium, une sorte d’«œil bionique» sensible à une région spécifique de l’infrarouge que l’œil humain est incapable de détecter.

«Ce ne sont pas des caméras thermiques, ce sont des caméras qui détectent la lumière qui existe, a expliqué le professeur Moutanabbir. Si on sort et qu’il fait noir, il fait noir uniquement parce que nous n’avons pas les bons détecteurs. Nos yeux sont optimisés pour détecter le visible.»

S’il est vrai que des caméras de détection de l’infrarouge sont déjà disponibles sur le marché, l’équipe du professeur Moutanabbir s’intéresse très précisément à la région du spectre comprise entre 1,7 micromètre et 8 micromètres. Cette région correspond essentiellement à celle de l’infrarouge à ondes courtes et moyennes (respectivement SWIR et MWIR en anglais).

La nouvelle caméra serait en mesure de détecter des silhouettes ou de voir les écritures sur un objet, ce qui représente «un avantage très important» par rapport aux caméras thermiques, a dit le professeur Moutanabbir.

Plutôt que de détecter la chaleur, a précisé le chercheur, le capteur détecte la lumière réfléchie par un objet lorsqu’il est éclairé par la lumière émise à ces longueurs d’onde. Son fonctionnement est similaire à celui de l’œil humain ou d’une caméra, mais avec une lumière différente.

Cibler les longueurs d’onde du proche et du moyen infrarouge permet à ce photodétecteur de contourner le problème de la lumière visible qui est réfléchie par la neige, la glace ou le brouillard, ce qui ne concerne que très peu les longueurs d’onde SWIR et MWIR ― et ouvre la porte au développement de caméras qui pourraient littéralement «voir» à travers ces obstacles.

«L’eau est transparente, la neige est transparente dans sa longueur d’onde, a dit le professeur Moutanabbir. (Le capteur) détecte une longueur d’onde où ces obstacles-là sont transparents. Donc on peut voir à travers le brouillard, on peut voir à travers la neige.»

En plus d’ajouter aux véhicules des caméras qui amélioreraient la sécurité des conducteurs et des piétons, la technologie permettrait de «voir à travers la neige» pour retrouver des victimes emportées par une avalanche ou pour repérer des véhicules ensevelis par une tempête, a-t-il ajouté.

Le groupe du professeur Moutanabbir planche sur cette technologie depuis plusieurs années, notamment avec le soutien du programme Innovation pour la Défense, l’Excellence et la Sécurité du ministère de la Défense nationale, ainsi qu’avec celui de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) et de PRIMA Québec.

Les semi-conducteurs sont fabriqués à Polytechnique Montréal en déposant des atomes de germanium et d’étain sur des gaufrettes de silicium, couche par couche, ce qui permet de former «des cristaux qui n’existent pas dans la nature», a dit M. Moutannabir.

Le groupe a récemment franchi de nouvelles étapes en démontrant l’efficacité de ses photorécepteurs à température pièce et en prouvant que leur vitesse de réponse est suffisamment élevée pour réaliser des applications de photodétection spectroscopique.

La technologie pourrait un jour se retrouver dans les lidars des systèmes de navigation des véhicules autonomes, mais aussi servir dans des outils de communication optique. Elle pourrait également se trouver au cœur de caméras pour la vision de nuit ou détecter des agents chimiques ou biologiques spécifiques par spectroscopie. Les capteurs pourraient enfin être incorporés dans des cellules thermophotovoltaïques pour transformer la chaleur résiduelle en électricité ― le tout, à une fraction du coût des technologies actuelles.

Les plus récentes percées de l’équipe du professeur Moutanabbir ont récemment fait l’objet d’articles dans la revue scientifique ACS Photonics.

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