La Cour ordonne un arrêt des procédures au deuxième procès du juge Jacques Delisle

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
La Cour ordonne un arrêt des procédures au deuxième procès du juge Jacques Delisle

OTTAWA — L’ex-juge Jacques Delisle, 86 ans, est libre et n’aura pas à subir un deuxième procès pour le meurtre de son épouse, Nicole Rainville, trouvée morte en 2009.

Le juge Jean-François Émond, de la Cour supérieure, a ordonné vendredi matin un arrêt des procédures pour abus et délais déraisonnables, tel que le réclamait la défense.

«Les procédures sont terminées pour lui. C’est ce qui compte. À 86 ans, depuis plus de dix ans, il fallait que ça cesse», a déclaré son avocat, Me Maxime Roy, à la sortie du tribunal.

Jacques Delisle avait été condamné à la prison à perpétuité en 2012 pour le meurtre prémédité de son épouse puis libéré en avril dernier après avoir passé neuf ans derrière les barreaux, après que le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, eut ordonné un nouveau procès.

Nicole Rainville est décédée d’une balle dans la tête en novembre 2009 et l’ex-juge Delisle avait été trouvé coupable de meurtre prémédité, alors qu’il soutenait de son côté qu’elle s’était suicidée.

Il avait porté sa cause en appel jusqu’en Cour suprême, mais sans succès. 

De nouveaux éléments de preuve avaient toutefois amené le ministre Lametti à poser le rare geste d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. «Le critère pour que le ministre ordonne un nouveau procès est très élevé et il n’a pas, lui, le pouvoir d’ordonner l’arrêt des procédures. Donc le ministre n’aurait pas pu ordonner l’arrêt des procédures, mais du fait qu’il ordonne un nouveau procès, c’est forcément qu’il y a quelque chose de très sérieux qui a été relevé par l’équipe ministérielle», a précisé Me Roy.

Le ministre Lametti n’a pas voulu commenter vendredi le fond de l’affaire, en mêlée de presse à Ottawa, mais il a affirmé qu’il avait trouvé «des motifs raisonnables pour croire qu’il y avait eu une erreur judiciaire».

Il a rappelé qu’il travaillait à la mise en place d’une commission indépendante chargée de se pencher sur des cas où des personnes ont pu être condamnées à tort. «C’est un enjeu qui est très important pour moi», a-t-il dit en indiquant qu’il a reçu les recommandations d’anciens juges sur les façons d’aller de l’avant.

Des cas comme celui de Jacques Delisle serviront assurément à la réflexion, croit le ministre. «Chaque cas va pouvoir servir non seulement à justifier la création de notre commission, mais aussi d’encadrer l’architecture de celle-ci une fois qu’elle sera créée.»

Une part importante de la preuve dans le dossier de l’ex-juge Delisle reposait sur l’angle d’entrée du projectile, ce qui pouvait démontrer la possibilité ou l’impossibilité d’un suicide, et c’est cette portion de la preuve qui a été mise en cause et qui a amené le ministre à intervenir.

«Le pathologiste qui a fait l’analyse du cerveau de Mme Rainville n’a pas suffisamment colligé le travail qu’il a fait, n’a pas gardé de photos. Il aurait dû garder les coupes du cerveau pour permettre aux experts subséquents, que ce soit les experts de la poursuite ou les experts de la défense, de se prononcer», a expliqué Me Roy.

«Heureusement, certains éléments qui avaient été conservés ont permis de démontrer qu’il n’avait pas bien évalué la direction du projectile dans le cerveau de Mme Rainville, ce qui changeait tout entre la théorie est-ce que c’est un meurtre ou un suicide. Ces informations n’ont pas pu être présentées au jury lors du premier procès et le verdict aurait fortement pu être très différent lors du premier procès si ces informations avaient pu être présentées aux membres du jury.»

Si la défense avait eu cet élément de preuve en main lors du premier procès «ça aurait pu faire une différence névralgique au verdict», croit le juriste.

Cette décision envoie un message très clair, selon lui: «Lorsqu’il y a des scientifiques qui sont chargés de se prononcer sur un dossier, ils doivent conserver la preuve, surtout dans des infractions aussi graves qu’une accusation de meurtre.»

Me Roy n’a pas voulu se prononcer quant à savoir si c’est le pathologiste ou le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale qui devait être blâmé, mais une chose est certaine à la lecture du jugement, a rappelé Me Roy, c’est l’obligation de conserver les éléments de preuve: «Lorsqu’on analyse, surtout une pièce comme le cerveau, qui n’est pas reproductible, on ne peut pas le reproduire, c’est ce qu’il faut comprendre. Il a été le seul à pouvoir analyser le cerveau. S’il le fait mal ou s’il ne conserve pas ce qu’il a fait, la défense est dans l’incapacité de vérifier ce qu’il a fait.»

– Avec des informations d’Émilie Bergeron à Ottawa

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