Les fondations devront déployer une plus grande part de leur actif dès 2023

Stéphane Rolland, La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Les organismes de bienfaisances canadiens devront déployer une plus grande part de leur capital dès l’an prochain pour se conformer aux consignes du gouvernement fédéral, qui a relevé le minimum de leur avoir qu’ils doivent remettre à la communauté chaque année. 

Les fondations doivent décaisser au minimum 3,5% de leur portefeuille chaque année. Ce seuil sera relevé à 5% à partir du premier janvier 2023 pour celles qui détiennent un actif de plus de 1 million $, a annoncé le gouvernement Trudeau dans son budget présenté jeudi.

La décision survient à un moment où le portefeuille de ces organismes avoisinerait la centaine de milliards de dollars. Ces réserves altruistes soulevaient un malaise dans le monde philanthropique où plusieurs voix demandaient que les dons soient redistribués plus rapidement dans la communauté.

Ensemble, les 10 881 fondations de bienfaisance canadiennes détenaient près de 92 milliards $ d’actifs à long terme en 2018, selon les données les plus récentes fournies par Fondations philanthropiques Canada (FPC). Cette somme pourrait avoir franchi le cap des 100 milliards $ en tenant compte des rendements boursiers des années suivantes. 

L’annonce du fédéral reprend en grande partie les recommandations de FPC, félicite son président-directeur général, Jean-Marc Mangin. 

«On atteint là un point d’équilibre, qui permet d’avoir plus d’octrois de subvention maintenant, mais également, à long terme, d’éviter l’érosion du capital, estime-t-il. On souhaite que les organismes qui veulent s’engager sur le long terme puissent continuer leur travail. À 5%, nous croyons que c’est possible.»

M. Mangin salue aussi la décision du fédéral de réévaluer dans cinq ans si le seuil de 5% demeure approprié. Le dernier ajustement remonte à 2004. Il avait diminué de 4,5% à 3,5%. Le gouvernement voulait tenir compte de l’effet de l’éclatement de la bulle technologique au début des années 2000, qui avait plombé la valeur des actifs financiers des fondations. 

Or, le taux n’a pas été révisé depuis. Si bien que de nombreuses fondations ont obtenu des rendements boursiers supérieurs à l’argent qu’elle redistribuait dans la communauté. 

De nombreuses fondations versent déjà plus que le minimum requis, insiste M. Mangin. En fait, «environ» le tiers des fondations ne décaissaient que 3,5% de leur portefeuille. En moyenne, les fondations versaient 4,2% de leur portefeuille, selon des données compilées par FPC.

Une hausse suffisante?

La nouvelle ne devrait pas trop créer de surprise dans le milieu philanthropique, croit Sylvain Lefèvre, chercheur au PhiLab QC UQAM. Le rehaussement du contingent de décaissement au seuil de 5% était quelque chose d’anticipé. «C’est des choses qui étaient déjà discutées. De grosses fondations ont déjà fait le mouvement.»

Le chercheur croit cependant que le taux aurait pu être plus élevé quand on tient compte des besoins «immense» du milieu communautaire. «Les organismes communautaires sont à bout de souffle.»

Le sous-financement exerce également une pression sur le personnel qui y travaille, ajoute M. Lefèvre. «Les organismes communautaires n’arrivent pas à recruter. Les salaires ne sont pas suffisants. Les conditions de travail sont difficiles. »

Il se questionne également à savoir si le seuil de 5% corrigera l’accumulation de richesse à perpétuité au sein de certaines fondations dans un contexte de hausse des taux d’intérêt et de l’inflation.  

Sans entrer dans les détails, le budget mentionne que l’Agence du revenu du Canada «améliorera également la collecte de renseignements auprès des organismes de bienfaisance » pour vérifier si les organismes respectent leur contingent des versements, mais aussi pour obtenir de l’information sur leurs placements.

Rien ne laisse croire que le fédéral compte s’ingérer dans les décisions d’investissement des fondations, mais cette collecte pourrait permettre d’avoir plus d’information qui permettrait, par la suite, de trouver des moyens d’encourager «l’investissement d’impact»,  estime M. Mangin. 

Le seuil de décaissement de 5% ne représente qu’une partie de l’impact qu’a une fondation dans sa communauté, abonde M. Lefèvre. Il faut tenir compte de l’impact social et environnemental des 95% restant des actifs, soit le portefeuille. 

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