Jonathan Pomares n’aurait pas dû recevoir son congé de l’hôpital, selon la coroner

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Jonathan Pomares n’aurait pas dû recevoir son congé de l’hôpital, selon la coroner

MONTRÉAL — Jonathan Pomares, cet homme de 40 ans qui a brutalement assassiné ses deux enfants, Hugo et Élise, âgés respectivement de sept et cinq ans, avant de s’enlever la vie, à Tétreaultville le 22 octobre 2019, n’aurait pas dû recevoir son congé de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM), sept jours plus tôt.

«Hugo était curieux, énergique et il aimait faire du sport, particulièrement le soccer. Élise était empathique et elle aimait beaucoup placoter. De plus elle adorait les bonbons et les toutous. Les enfants s’entendaient très bien tous les deux et étaient très complices.» C’est en présentant son rapport sur la tragédie, mardi, que la coroner Stéphanie Gamache a tenu, à la demande de leur mère, à dire un mot sur les enfants en concluant sa présentation.

Le rapport de Me Gamache fait état d’un cheminement marqué par un manque de formation et de communication entre les différents intervenants du réseau de la santé impliqués dans son dossier. De plus, les absences de lignes directrices et de ressources formées pour traiter les cas de tentatives de suicide dans un contexte de rupture ont empêché une intervention plus adaptée aux circonstances dans ce dossier.

«Est-ce que ce drame était évitable? Une tentative de suicide dans un contexte de séparation imminente est non seulement un facteur de risque suicidaire. Selon la littérature scientifique en matière de violence intrafamiliale et conjugale, il s’agit aussi d’un facteur de risque homicidaire», a rappelé Me Gamache.

Ces trois décès, comme tant d’autres selon Me Gamache, qui travaille depuis longtemps sur les dossiers de drames intrafamiliaux, constituent des occasions d’agir qui ont été manquées.

Formation et grille d’évaluation

Les recommandations de la coroner vont d’ailleurs dans le sens de demander au ministère de la Santé et des Services sociaux de créer une grille d’évaluation pour de tels cas, de former tous les intervenants et professionnels de la santé sur une base continue dans les CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, impliqués dans ce dossier.

Le fait que Jonathan Pomares avait été hospitalisé une dizaine de jours avant le drame pour une tentative de suicide était un drapeau rouge qu’on ne pouvait ignorer. «Dans une telle situation où une tentative de suicide survient dans un contexte de séparation imminente, il est impératif de ne pas se fier uniquement au discours du patient. Une grille d’évaluation spécifique du risque homicidaire se doit d’être développée et utilisée dans de tels contextes pour obtenir une vision extérieure de la situation que vit le patient», a-t-elle répété à quelques reprises.

Elle recommande également une formation sur la levée des règles de confidentialité, règles qui ont empêché la transmission d’informations entre professionnels sur le risque réel que présentait M. Pomares. 

«C’est absolument nécessaire de faire ces formations et de permettre aux professionnels de la santé de vraiment reconnaître les facteurs de risque en cause pour que des lumières rouges s’allument. Une tentative de suicide dans un contexte de séparation imminente, c’est vraiment un élément qui justifie d’aller chercher d’autres informations, justement pour voir s’il y a effectivement imminence de danger.»

Me Gamache n’a pas manqué de noter au passage que ce n’est pas la première fois qu’un coroner avise le gouvernement de la nécessité de cette formation. «Une recommandation générale en ce sens pour tous les CISSS et les CIUSSS du Québec a d’ailleurs déjà été faite dans le premier rapport annuel du comité d’examen des décès liés à la violence conjugale. Le décès de M. Pomares et de ses enfants justifie de la réitérer pour s’assurer de sa réalisation.»

Enfin, elle invite le Secrétariat à la condition féminine à étendre la création de cellules de crise spécialisées dans de telles interventions comme il en existe déjà dans d’autres régions, aux deux CIUSSS concernés.

«Si une cellule de crise avait pu être mobilisée durant la garde préventive de M. Pomares, tant à l’hôpital Notre-Dame qu’à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, une discussion entre des intervenants aguerris aurait permis d’évaluer tous les facteurs de risque», a-t-elle fait valoir.

Un contexte de rupture explosif

L’ex-conjointe de M. Pomares avait informé celui-ci qu’elle souhaitait mettre fin à leur relation le 12 octobre. Le lendemain, Jonathan Pomares, qui avait préalablement cessé une consommation excessive d’alcool, en avait alors consommé une grande quantité en combinaison avec plusieurs comprimés d’ibuprofène. Informée de ce fait, son ex-conjointe avait alors communiqué avec le 9-1-1.

Il avait résisté avec force à son transport à l’hôpital et avait nié toute tentative de suicide. Le psychiatre qui l’avait vu à l’hôpital Notre-Dame avait jugé qu’il était en décompensation sévère et qu’il présentait un risque élevé pour lui-même et imprévisible pour autrui.

Le 14 octobre, en raison de son lieu de résidence, il était transféré de l’hôpital Notre-Dame à l’IUSMM où, encore une fois, le psychiatre qui l’avait évalué avait cru nécessaire de le placer en garde préventive.

Manque de transmission de l’information 

Par contre, le 15 octobre, un second psychiatre de l’Institut décidait de lui donner son congé de l’hôpital sur la seule base des discussions qu’il avait eues avec M. Pomares. Celui-ci devait aller vivre chez un ami et consulter un intervenant psychosocial. Me Gamache estime que ce psychiatre n’avait pas le portrait global de la situation de M. Pomares puisqu’il n’avait pu communiquer avec son ex-conjointe.

«Dans ce contexte, il me semble qu’une nouvelle évaluation de la dangerosité du patient se doit d’inclure une discussion avec le proche en question avant de lever la garde dans le but d’obtenir un portrait aussi complet que possible de la situation et de la dangerosité réelle possible tant pour le patient que pour les autres membres de sa famille», a insisté la coroner. 

Bien que surprise qu’il ait obtenu son congé sans qu’elle en soit informée, l’ex-conjointe de Jonathan Pomares s’était entendue avec lui pour qu’il puisse demeurer présent auprès des enfants. Le 22 octobre, jour de la tragédie, M. Pomares va chercher les enfants à leur sortie de l’école comme convenu et doit les faire souper en attendant l’arrivée de leur mère, vers 21h30. C’est à son arrivée que celle-ci trouve les corps mutilés de ses enfants et celui de son ex-conjoint, qui s’était pendu.

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