Les conservateurs veulent forcer par la loi des administrateurs francophones aux CA

Michel Saba, La Presse Canadienne
Les conservateurs veulent forcer par la loi des administrateurs francophones aux CA

OTTAWA — Le Parti conservateur du Canada estime qu’Ottawa devrait forcer les entreprises assujetties à la Loi sur les langues officielles, comme Air Canada et le Canadien National (CN), à avoir une proportion minimale d’administrateurs francophones.

«Il faut avoir un outil pour obliger les compagnies à charte fédérale d’avoir des francophones», a tranché mardi le porte-parole conservateur en matière de langues officielles, Joël Godin, en entrevue avec La Presse Canadienne.

M. Godin, qui est vice-président du comité permanent des langues officielles, a révélé que sa formation politique prépare un amendement en ce sens au projet de loi visant à moderniser la Loi sur les langues officielles. Les élus s’interrogent actuellement sur la proportion minimale de francophones et le mécanisme pour l’imposer.

«La situation actuelle, (c’est que) les conseils d’administration n’ont pas d’obligations et n’ont même pas le souci de respecter, alors (…) il faut mettre des lois ou des règlements», a-t-il lancé, ajoutant que non seulement «on a l’autorité pour le faire, on a l’obligation de le faire».

Les conservateurs emboîtent ainsi le pas au président du comité permanent sur les langues officielles et député libéral de Madawaska-Restigouche, au Nouveau-Brunswick, René Arseneault.

Les entreprises assujetties à la Loi sur les langues officielles, «si indépendantes soient-elles», devraient représenter «la démographie linguistique du pays», a insisté M. Arseneault en entrevue. Cela impliquerait de rendre obligatoire qu’«à tout le moins» le quart du conseil d’administration soit composé de francophones.

Leurs commentaires surviennent quelques jours après le tollé suscité par l’absence de francophones sur le conseil d’administration de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN). La controverse faisait suite à celle de l’automne dernier à la suite d’un discours livré essentiellement en anglais à Montréal par le chef de la direction d’Air Canada, Michael Rousseau.

Le CN a annoncé mardi après-midi que son conseil d’administration s’est réuni en matinée pour la première fois depuis la démission de son seul administrateur francophone, l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest, et qu’il nommerait «dans les prochains mois» un administrateur «francophone du Québec».

«Le CN, dont le siège social est situé à Montréal depuis plus de 100 ans, et son conseil d’administration respectent la riche histoire de la Compagnie au Québec où la langue officielle est le français et en tirent une grande fierté», a soutenu le président de son conseil d’administration, Robert Pace, dans un communiqué.

Projet de loi

M. Arseneault, un avocat de formation, a cependant dit croire qu’il est très peu probable que le gouvernement fédéral puisse avoir une telle influence sur des organisations indépendantes du gouvernement et veut savoir «où se fait la coupure».

Le comité qu’il préside se prépare à étudier un projet de loi qui permettra au commissaire aux langues officielles d’«imposer des ordres» à Air Canada, avait insisté le mois dernier la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, devant le comité parlementaire.

Le projet de loi C-13 va également créer une nouvelle loi qui donnera le droit de travailler et de se faire servir en français chez les entreprises privées de compétence fédérale dans les «régions à forte présence francophone».

«On va commencer par étudier notre loi C-13 ici en comité (…) et voir quelles sont les possibilités, a dit M. Arseneault. Peut-être que juridiquement ce l’est.»

Il constate que les commissaires aux langues officielles qui se sont succédé ont été «d’une aide incroyable» pour éclairer les élus sur les questions juridiques et de langues officielles.

À son entrée au conseil des ministres, la ministre Petitpas Taylor a soigneusement évité de dire si le gouvernement juge opportun d’ajouter au projet de loi des modalités sur la composition des conseils d’administration.

«Je pense qu’on devrait toujours avoir des francophones au sein des conseils d’administration, a-t-elle dit. C’est très important. On habite dans un pays qui est bilingue.»

La semaine dernière, dans la foulée de la controverse au CN, le premier ministre Justin Trudeau avait évité deux fois plutôt qu’une de répondre à la même question.

Il s’était plutôt contenté de témoigner de son indignation et d’affirmer qu’il croit que les francophones «devraient avoir la chance de siéger sur toutes les compagnies nationales, comme le CN, comme Air Canada, (…) devraient se voir refléter dans nos grandes institutions nationales».

Régler le problème

Le Bloc québécois verrait d’un œil favorable que le projet de loi ajoute des dispositions sur la composition des conseils d’administration. «Je pense que oui. Il faudrait renforcer le français au maximum», a affirmé Mario Beaulieu, son porte-parole en matière de langues officielles.

M. Beaulieu a cependant réitéré que sa formation politique souhaite que la nouvelle loi précise que toutes les entreprises établies au Québec soient assujetties à la loi 101, ce qui n’est actuellement pas le cas des entreprises de compétence fédérale.

«Tous les partis, sauf les libéraux, sont d’accord pour que le Québec puisse appliquer la loi 101 aux entreprises de compétence fédérale, qui a un très large consensus au Québec», a-t-il plaidé en entrevue.

Son chef, Yves-François Blanchet, estime que l’imposition d’un quota de francophones est possible, bien que cela représenterait «un défi juridique» sans compter que le gouvernement n’en a pas la «volonté».

«Je vous laisse imaginer combien de personnes qui ont le numéro de téléphone direct dans le cabinet du premier ministre puis qui dirigent de grandes entreprises canadiennes qui vont prendre le téléphone puis dire: “Tu peux pas nous faire ça”. Et je suis convaincu que la sensibilité du premier ministre sera davantage à des gens qui vont lui expliquer en anglais qu’ils ne veulent pas se faire imposer du français», a-t-il dit dans le foyer de la Chambre des communes.

Au Nouveau Parti démocratique (NPD), le porte-parole adjoint en matière de langues officielles, Alexandre Boulerice, a déclaré qu’il «ne pense pas que c’est au gouvernement fédéral de dicter qui doit être embauché ou pas» pour composer les conseils d’administration.

«Ça irait peut-être un peu trop loin, mais au moins je pense qu’un renforcement de la loi sur les langues officielles s’impose, puis donner plus de pouvoir au commissaire pour faire des enquêtes et peut être aussi des amendes, a-t-il dit. Ça irait dans la bonne direction.»

Questionné à savoir si Ottawa peut forcer dans un projet de loi des entreprises assujetties à la Loi sur les langues officielles à avoir un pourcentage minimal d’administrateurs francophones, le commissariat aux langues officielles a répondu à La Presse Canadienne que cette question «dépasse le mandat du commissaire».

Dans une déclaration écrite, le commissaire Raymond Théberge a cependant soutenu qu’«en nommant des hauts dirigeants bilingues, les entreprises canadiennes ayant un rayonnement national ou international peuvent donner l’exemple en matière de respect et de valorisation des langues officielles, tant pour leurs propres employés que pour la population».

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