Trudeau envisage de légiférer pour renforcer le droit des femmes à l’avortement

Michel Saba et Émilie Bergeron, La Presse Canadienne
Trudeau envisage de légiférer pour renforcer le droit des femmes à l’avortement

OTTAWA — Le gouvernement Trudeau envisage de légiférer pour renforcer le droit des femmes canadiennes à l’avortement après qu’une fuite a révélé que la Cour suprême des États-Unis envisage d’annuler le jugement historique «Roe contre Wade» sur le droit à l’avortement, en vigueur depuis près de 50 ans.

«On est en train de regarder ce cadre légal maintenant pour voir comment on peut s’assurer que les droits des femmes vont toujours être respectés (…) pas seulement maintenant, mais sous n’importe quel autre gouvernement dans l’avenir», a indiqué mercredi le premier ministre Justin Trudeau en se rendant à la réunion du caucus de son parti.

Il a précisé que le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, et sa collègue la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse, Marci Ien, ont été chargés d’étudier le dossier «rapidement».

«On sait malheureusement avec ce qu’on voit chez nos voisins du Sud, mais aussi avec ce qu’on voit dans les débats au sein du Parti conservateur du Canada, que nous avons besoin d’assurer qu’il y a des protections pour que jamais on (ne) voie ce recul», a ajouté M. Trudeau.

Lors de la dernière campagne électorale, les libéraux ont promis d’améliorer l’accès à l’avortement au Canada en réglementant cet accès en vertu de la Loi canadienne sur la santé.

La lettre de mandat du ministre Duclos lui demande de renforcer le respect de la loi, de développer un portail d’information sur les droits en matière de santé sexuelle et reproductive et d’appuyer les organismes dirigés par des jeunes qui répondent aux besoins de ceux-ci en matière de santé sexuelle et reproductive.

Aiguiser les dents de la loi

Avant la période des questions, M. Duclos est venu expliquer que le gouvernement fédéral a la responsabilité de s’assurer que les principes de la Loi canadienne sur la santé sont «compris et acceptés», notamment l’obligation de fournir des services de santé reproductive «de manière gratuite et accessible».

La loi est «solide», mais les mécanismes de respect de la loi «doivent être améliorés», a-t-il déclaré, en évitant de dire s’il compte augmenter les pénalités afin qu’elles soient véritablement significatives.

«Une loi, c’est beau, mais il faut aussi l’appliquer», a noté le ministre.

Près de 65 000 $ ont été déduits des transferts fédéraux en matière de santé envoyés au Nouveau-Brunswick en mars puisque la province refuse de financer les avortements chirurgicaux en dehors de certains hôpitaux et environ 6500 $ ont été retenus à l’Ontario en raison des frais facturés aux patientes pour des avortements dans des établissements de santé indépendants.

M. Trudeau n’a pas non plus indiqué si son gouvernement allait augmenter le prix à payer pour les provinces récalcitrantes, lorsqu’appelé à clarifier ses intentions en mêlée de presse.

Le premier ministre a aussi affirmé qu’il «n’écarte pas» la possibilité d’aller plus loin, dans la révision du cadre légal entourant l’avortement, que de simplement améliorer la Loi canadienne sur la santé.

«Il y a plusieurs façons de le faire, mais on va toujours rester là comme gouvernement pour défendre les droits des femmes et on va regarder le cadre législatif, le cadre réglementaire», a-t-il offert.

Aux yeux du porte-parole néo-démocrate en matière de santé, Don Davies, il est clair que les pénalités imposées aux provinces comme le Nouveau-Brunswick doivent être revues à la hausse.

«Ce doit être suffisamment d’argent de sorte que la province en ressente le contrecoup et se conforme à la Loi canadienne sur la santé», a-t-il dit en rappelant que le principe d’accessibilité y est inscrit noir sur blanc.

Son chef, Jagmeet Singh, a abondé dans le même sens. «C’est quoi le bénéfice d’avoir un droit si on n’a pas accès à ce droit», a-t-il lancé à plusieurs reprises en point de presse.

Il a aussi mis au «défi» le gouvernement de prouver de façon «concrète» qu’il n’est pas «hypocrite» en incluant «maintenant, tout de suite» les contraceptifs dans le régime d’assurance-médicaments universel qui doit être adopté d’ici la fin de 2023 en vertu de l’entente entre le NPD et les libéraux.

Le chef bloquiste Yves-François Blanchet a pour sa part invité à la prudence quant à l’idée de légiférer pour protéger le droit à l’avortement, car cela comporte à son avis certains risques. «De créer un cadre, ça veut dire que des gens dans le futur pourraient vouloir resserrer le cadre alors que d’autres voudraient élargir le cadre», a-t-il prévenu.

Mardi, une motion bloquiste réitérant le «libre choix» de la femme de se faire avorter ou non a été défaite aux Communes, faute du consentement unanime des députés. La leader parlementaire adjointe bloquiste, Christine Normandin, a affirmé par la suite avoir entendu «des  »non » assez retentissants du côté des banquettes conservatrices».

Selon M. Blanchet, le fait que cette motion ait été battue «a démontré que l’enjeu n’est pas réglé».

Motus et bouche cousue

Parmi les députés et sénateurs conservateurs qui se rendaient au caucus de leur parti, mercredi, la quasi-totalité a évité les questions des journalistes sur l’avortement. Ils avaient reçu une note, mardi, leur demandant d’éviter de commenter la nouvelle provenant des États-Unis.

Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu a été l’un des rares à s’arrêter. Il a indiqué que le dossier «est mort (et)réglé» et que si Jean Charest est élu chef conservateur «ces fantômes-là vont rester dans le placard».

À ce sujet, il estime que le meneur dans la course à la direction du parti, Pierre Poilievre, ne peut pas «se situer dans une zone grise» et doit dire clairement s’il est «pro-vie ou pro-choix».

«Je pense que des chefs, dans le passé, ont tenté cette stratégie de vouloir plaire à maman (et) papa, mais ça (ne) marche pas, a lancé le sénateur. Il va falloir que M. Poilievre mette ses culottes et se prononce.»

M. Poilievre a affirmé qu’un gouvernement qu’il dirigerait «n’introduira ni n’adoptera aucune loi restreignant l’avortement». L’un de ses adversaires, Jean Charest, a fait une déclaration semblable en ajoutant qu’il «respecte le droit des députés de présenter des projets de loi d’initiative parlementaire sur des questions de conscience».

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