Ottawa songe à intégrer le système américain de défense antimissiles balistiques

Lee Berthiaume, La Presse Canadienne
Ottawa songe à intégrer le système américain de défense antimissiles balistiques

Ottawa réfléchit à l’opportunité de se joindre finalement aux États-Unis pour se défendre activement contre les missiles balistiques intercontinentaux, a déclaré mardi la ministre de la Défense, Anita Anand, tout en refusant de fournir des plans précis pour la modernisation des vieux systèmes de défense de l’Amérique du Nord.

Mme Anand a fait ce commentaire mardi matin dans le cadre d’une conférence organisée par l’Institut canadien des affaires mondiales, où elle a évoqué le réexamen promis de la Politique de défense du Canada, tout en soulignant la nécessité de recruter et de retenir davantage de militaires dans les Forces armées canadiennes.

Le Canada s’était retiré avec bruit, en 2005, du programme américain de «système terrestre d’interception de missiles balistiques à longue portée», à la suite d’un débat national extrêmement houleux. Le gouvernement libéral de l’époque avait décidé de ne pas investir dans le réseau de radars terrestres et maritimes et de missiles intercepteurs conçus pour se défendre contre une attaque de missiles balistiques intercontinentaux visant l’Amérique du Nord.

La décision de Paul Martin, alors premier ministre, avait été considérée par plusieurs observateurs comme une tentative de renforcer son gouvernement libéral minoritaire. Les néo-démocrates et de nombreux Canadiens s’opposaient alors au programme de défense antimissiles balistiques (DAB), notamment parce qu’il était lié à l’administration du président américain George W. Bush.

Pourtant, la question de savoir si le Canada devrait reconsidérer sa décision a resurgi à plusieurs reprises dans les années qui ont suivi, et Mme Anand a laissé la porte grande ouverte, mardi, lorsqu’on lui a demandé s’il serait temps de reconsidérer cette position.

«Nous examinons certainement cette question de manière complète et approfondie, ainsi que ce qu’il faut pour défendre le continent à tous les niveaux, a-t-elle déclaré. Nous ne négligeons aucun effort dans cet examen majeur de la défense continentale.»

Et le NORAD 

L’examen en question consiste à moderniser le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Ce système d’alerte précoce, que le Canada partage avec les États-Unis, accuse son grand âge, à un moment où les inquiétudes concernant une attaque sur le continent nord-américain sont à leur plus haut niveau depuis la guerre froide.

Les conservateurs, ainsi que plusieurs comités parlementaires, ont déjà recommandé au Canada d’adhérer au programme de défense antimissiles balistiques, en particulier depuis que la Corée du Nord a effectué un certain nombre d’essais de missiles à longue portée en 2017.

Le système lui-même n’est pas conçu pour arrêter une attaque massive d’un pays comme la Russie ou la Chine, et son efficacité réelle a été remise en question par rapport à ses coûts, que le Bureau du budget du Congrès a estimés à 176 milliards $ US au cours de la prochaine décennie.

Les partisans de l’implication du Canada ont néanmoins affirmé que toute défense valait mieux que rien.

La porte-parole conservatrice en matière de défense, Kerry-Lynne Findlay, a rappelé qu’un commandant adjoint du NORAD avait déclaré en 2017, devant un comité parlementaire, que les directives américaines ordonnaient aux responsables militaires de ne pas défendre le Canada s’il était visé par une attaque de missiles balistiques.

De nouveaux essais de missiles par la Corée du Nord au cours des derniers mois, ainsi que l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les inquiétudes croissantes concernant la Chine, ont tous «amplifié» la nécessité de s’assurer que le Canada soit correctement protégé, a estimé Mme Findlay.

«Nous devons comprendre que nous serions — ou pourrions être — sans défense en cas d’attaque par missile, a-t-elle déclaré. Compte tenu de l’évolution de la menace, nous sommes très favorables à la modernisation du NORAD, et nous estimons que le Canada doit s’engager activement avec les États-Unis à ce sujet et doit rejoindre le programme de défense antimissiles.»

La ministre Anand a confirmé qu’une partie des 6 milliards $ de nouveaux fonds destinés à l’armée dans le budget du mois dernier seront consacrés à la modernisation du NORAD, y compris la chaîne de radars des années 1980 dans l’Arctique canadien, connue sous le nom de «Système d’alerte du Nord».

Par contre, la ministre n’a fourni aucun échéancier ni aucun autre détail; elle a plutôt promis des annonces «à brève échéance», faisant écho à ses commentaires à l’issue de sa rencontre avec le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, à Washington le mois dernier.

Les responsables militaires préviennent depuis des années que le NORAD est obsolète et qu’il a désespérément besoin d’être remplacé. Pourtant, les deux gouvernements ont été lents à agir, même face à une nouvelle agression russe.

En entrevue après la conférence, mardi, Mme Anand a défendu le manque de détails, affirmant que le gouvernement prenait le temps approprié compte tenu de l’étendue et de l’ampleur du travail et de l’argent nécessaires pour moderniser le système.

«C’est un investissement majeur, dit-elle. Ça va être complet (…) Nous prenons le temps de bien faire les choses. Et c’est ainsi que je procède, c’est ainsi que notre gouvernement procède.» 

Le gouvernement travaille également à préciser les détails d’un examen prévu de la Politique de défense du Canada, vieille de cinq ans, a rappelé la ministre. Les libéraux ont promis cet examen dans le budget du mois dernier, affirmant qu’une mise à jour était nécessaire compte tenu des récents changements apportés à la sécurité mondiale.

«Nous répondons nous-mêmes à toutes ces questions en ce moment, a déclaré Mme Anand lorsqu’on lui a demandé le calendrier de l’examen et qui le dirigerait. Nous sommes profondément engagés dans la définition des paramètres de l’examen, du calendrier et des aspects de fond.»

La ministre a indiqué que l’un des domaines sur lesquels portera l’examen est le recrutement et le maintien d’un plus grand nombre de Canadiens dans les Forces armées, qui auraient besoin de milliers de militaires de plus à un moment où l’armée est plus sollicitée que jamais.

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