Tuerie en N.-É.: la GRC critiquée pour son manque de soutien envers les intervenants

Keith Doucette, La Presse Canadienne
Tuerie en N.-É.: la GRC critiquée pour son manque de soutien envers les intervenants

HALIFAX — Le traitement réservé par la GRC aux membres de son Groupe tactique d’intervention dans les jours qui ont suivi la tuerie d’avril 2020 en Nouvelle-Écosse a été qualifié d’«absolument dégoûtant», lundi, à la commission d’enquête publique sur la tragédie qui a fait 22 morts.

Le caporal à la retraite Tim Mills, qui dirigeait une équipe de 13 policiers du Groupe tactique d’intervention d’urgence de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) les 18 et 19 avril 2020, a déclaré lundi à la commission que le manque de soutien en santé mentale dans la semaine qui a suivi la tuerie explique en grande partie pourquoi il a quitté ensuite la police fédérale, après une carrière de 29 ans.

«La GRC, en tant qu’organisation, veut donner l’impression qu’elle se soucie de ses membres, a déclaré M. Mills lundi. La façon dont nous avons été traités après (Portapique) a été dégoûtante, absolument dégoûtante.»

Au cours des quelque neuf heures passées dans le secteur de Portapique, les membres de l’équipe tactique auront croisé sur leur chemin plusieurs cadavres de victimes abattues par le tueur.

L’ex-caporal Mills a raconté qu’après une mise en pause de l’unité pendant trois jours, après la tuerie, il avait tenté d’obtenir plus de temps pour que les huit membres à temps partiel de l’équipe puissent «décompresser», au lieu de reprendre rapidement leurs fonctions dans leur détachement respectif.

Il a déclaré qu’il avait été convenu cinq jours après le drame, lors d’une séance de débreffage impliquant des membres de l’équipe et trois psychiatres, qu’une demande serait faite pour que les membres à temps partiel de l’équipe travaillent au siège du Groupe tactique avec les membres à temps plein, pendant une période de deux semaines.

«Leur recommandation était de côtoyer des personnes qui partageaient les mêmes choses, d’en parler ouvertement, de rester occupés», a déclaré M. Mills. Mais la demande ne semblait aller nulle part, a-t-il dit, et le 29 avril, on lui a finalement annoncé que les membres de l’équipe à temps partiel devaient retourner au sein de leur détachement respectif.

«Il y a des membres qui sont absents (du travail) à cause de Portapique (…) qui sont encore absents aujourd’hui, et qui n’ont pas vu ce que nous avons vu. Ils ont forcé nos gars à retourner au travail une semaine et demie après.»

M. Mills a indiqué à la commission qu’il avait tenté de savoir qui avait pris cette décision, mais en novembre 2020, sept mois après la tragédie, tout était devenu trop gros pour lui. «À ce moment-là, je me suis dit:  »J’ai fini de travailler pour une organisation défaillante »», a-t-il déclaré. Il a pris sa retraite de la GRC huit mois plus tard, en juillet 2021.

Les opérations de l’équipe

Pendant ce temps, M. Mills et le commandant en second de l’équipe du Groupe tactique la nuit de la fusillade, le caporal Trent Milton, ont témoigné lundi concernant un document déposé à la commission qui détaille la réponse de l’équipe d’intervention d’urgence les 18 et 19 avril.

Le caporal Mills a indiqué qu’il avait été informé pour la première fois de la situation en cours à Portapique vers 22 h 45, le samedi 18 avril 2020. Les premiers membres de son équipe sont arrivés près de Portapique un peu moins de deux heures plus tard, au début de la nuit de dimanche.

Peu de temps après son arrivée, l’équipe était sur le point d’entrer à Portapique lorsqu’elle a été redéployée pour aller vérifier plusieurs observations impliquant un suspect avec une lampe de poche à l’extérieur de maisons de la communauté de Five Houses, de l’autre côté d’une rivière et à près de trois kilomètres de là.

Mais les policiers du groupe tactique n’avaient pas de dispositifs de suivi et de cartographie numérique opérationnels dans leurs véhicules, tandis que la technologie qui était sur leurs téléphones et qui aurait permis aux agents de se localiser ne fonctionnait pas. En conséquence, ils se sont appuyés sur les instructions radio verbales des commandants pour se frayer un chemin, dans l’obscurité totale.

Le caporal Mills a admis aux enquêteurs de la commission que cette nuit-là, les policiers ont «beaucoup sacré» contre leur incapacité à se repérer sur le terrain.

Pas d’hélicoptère

Pour les mêmes raisons, le caporal Mills a également exprimé sa frustration face à la prochaine mission de son équipe: sauver Clinton Ellison, qui s’était caché dans une zone boisée à Portapique après le meurtre de son frère Corrie Ellison par le tireur quelques heures plus tôt. Le caporal Mills a déclaré aux enquêteurs que M. Ellison aurait été retrouvé plus tôt s’il y avait eu une technologie de suivi ou un hélicoptère au-dessus pour détecter une signature thermique corporelle.

Il a aussi souligné que la même chose s’appliquait peut-être à la conjointe du tireur, Lisa Banfield, qui a passé la nuit cachée dans les bois. Elle a finalement été retrouvée par l’équipe tactique le lendemain matin après avoir cherché refuge au domicile d’un habitant de Portapique.

Le document déposé à la commission confirme que la GRC savait avec certitude, après avoir parlé à Mme Banfield vers 6 h 45, que le tireur Gabriel Wortman était lourdement armé et en cavale dans une réplique exacte d’un véhicule de patrouille de la GRC.

L’équipe tactique a finalement reçu une mise à jour à 8 h 20 avec des informations supplémentaires précisant l’indicatif d’appel de l’autopatrouille, inscrit sur le côté de la voiture.

L’équipe tactique procédait à l’évacuation, de maison en maison, du secteur de Portapique lorsque la police a reçu un appel au 911 vers 9 h 35 au sujet d’une fusillade à Wentworth. Un témoin racontait qu’un véhicule de la GRC avait quitté les lieux.

L’équipe se précipitait vers Wentworth lorsqu’elle a soudainement dû se rendre vers une maison à Glenholme, où le tueur aurait été aperçu. Après avoir sécurisé cette zone, l’équipe tactique a finalement été envoyée à Debert, où Kristen Beaton et Heather O’Brien avaient été abattues.

La poursuite a finalement conduit l’équipe tactique à travers les communautés de Truro, Brookfield, Shubenacadie, Elmsdale et enfin Enfield. C’est là, dans une station-service, que le tueur a été abattu par un membre du Groupe tactique et un autre policier de la GRC.

L’ex-caporal Mills a déclaré aux enquêteurs de la commission qu’il était satisfait de la performance de son équipe, confrontée selon lui à une situation unique. «En d’autres termes: il est impossible, vous savez, d’imaginer un scénario comme celui-là, car il se passe trop de choses à la fois», a-t-il déclaré.

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