Ottawa pressé d’agir pour lutter contre la contrefaçon d’art autochtone

Marie Woolf, La Presse Canadienne
Ottawa pressé d’agir pour lutter contre la contrefaçon d’art autochtone

OTTAWA — L’art des Premières Nations, allant des masques sculptés à la main aux mâts totémiques, s’appuie sur des générations de traditions et de compétences et peut prendre des mois à être fabriqué.

Mais un flot de contrefaçons produites en Asie et en Europe de l’Est exploite la culture autochtone, disent les artistes, et leur vole des revenus.

L’un des artistes autochtones bien connus dont les images sont reproduites sans autorisation est le sculpteur Richard Hunt, de la Colombie-Britannique.

«J’ai fait arrêter la fabrication de cartes postales utilisant mon travail lorsque je l’ai découverte. À Bali, en Indonésie, ils fabriquent des masques de la côte nord-ouest. Ils les vendent en tant qu’objets autochtones», a-t-il dit.

«Ces choses doivent être arrêtées. Nous avons besoin de l’aide du gouvernement. C’est comme le capteur de rêves venu de Taïwan ou de Chine. Acheteurs, méfiez-vous.»

Le gouvernement fédéral reçoit des appels à l’action, notamment de la part d’une sénatrice qui souhaite une réforme de la loi sur le droit d’auteur, une unité pour aider les artistes autochtones à traquer les contrefaçons et à renforcer les contrôles aux frontières pour l’art de style autochtone.

M. Hunt a déclaré que l’augmentation des tarifs sur les importations de copies pourrait les ralentir, mais il a ajouté que les contrefaçons étaient produites en masse, ce qui fait en sorte qu’il est plus difficile pour les jeunes sculpteurs des Premières Nations de gagner leur vie.

La sénatrice Patricia Bovey, la première historienne de l’art à siéger au Sénat, a déclaré que l’industrie du faux art autochtone peut valoir des millions de dollars et viole les droits de propriété intellectuelle des artistes.

Elle fait pression sur le gouvernement pour qu’il réforme la loi sur le droit d’auteur afin de mieux protéger les artistes autochtones contre les entreprises peu scrupuleuses qui reproduisent leurs images à leur insu.

Les œuvres autochtones non autorisées et contrefaites vont des reproductions d’art des Premières Nations sur des t-shirts, des couvre-lits, des bols et des sacs en plastique, aux masques sculptés et aux mâts totémiques fabriqués à partir de bois de l’Asie du Sud-Est.

Plusieurs de ces objets sont des copies presque exactes d’œuvres originales exposées dans des galeries d’art du Canada, et le problème est particulièrement aigu du côté de l’art de la côte ouest.

Mme Bovey souhaite que les ministres mettent en place une unité pour aider les artistes autochtones dont le travail est reproduit à leur insu à retrouver ceux qui ont enfreint leurs droits d’auteur, pour qu’ils soient au moins payés.

Non seulement les artistes autochtones se font voler leurs créations, dit-elle, mais les personnes qui achètent des œuvres autochtones au Canada et à l’étranger peuvent ne pas savoir qu’elles sont fausses ou qu’elles ont été produites sans la permission de l’artiste.

Mme Bovey a été choquée de constater que certaines images sur des t-shirts orange réalisés à la suite de la découverte de tombes anonymes l’année dernière ont été reproduites à l’insu des artistes par des entreprises à but lucratif, ne collectant pas de fonds pour des causes autochtones.

Elle avertit les acheteurs d’œuvres autochtones de demander d’où vient l’œuvre, si elle a été réalisée avec la permission de l’artiste et si l’artiste est rémunéré.

«C’est un problème vraiment sérieux, a-t-elle déclaré. C’est plagier l’œuvre, c’est s’approprier l’œuvre et (…) les artistes n’ont pas les ressources pour combattre tout cela devant les tribunaux.»

Aider les artistes autochtones à récupérer leurs droits d’auteur serait un exemple d’«action de réconciliation», a ajouté la sénatrice.

Elle souhaite qu’un prochain examen de la Loi sur le droit d’auteur par le ministre du Patrimoine Pablo Rodriguez et le ministre de l’Innovation et des Sciences François-Phillippe Champagne inclue des protections pour les œuvres autochtones, qui, dit-elle, font partie intégrante de la culture et de l’histoire du Canada.

Non seulement il devrait y avoir des garanties spécifiques pour les artistes, mais un mécanisme pour traquer les entreprises fabriquant des œuvres autochtones ou ne payant pas les redevances des artistes, y compris en Chine et en Europe de l’Est, a-t-elle déclaré.

Alex Wellstead, porte-parole de M. Champagne, a déclaré que la révision de la Loi sur le droit d’auteur «protégerait davantage les artistes, les créateurs et les titulaires de droits d’auteur».

«Les peuples autochtones et les artistes seront consultés au cours du processus», a-t-il ajouté.

La loi actuelle sur le droit d’auteur offre une protection aux artisans autochtones, y compris les sculpteurs et les bijoutiers inuits, mais Mme Bovey a noté que le processus est si complexe et prend tellement de temps à poursuivre que peu d’artistes ont le temps de le faire.

Elle souhaite également des contrôles plus étroits aux frontières et des enquêtes sur la provenance et la destination de l’art dans les styles autochtones canadiens, en particulier celui fabriqué à partir de bois qui n’est pas originaire du Canada.

Selon Lucinda Turner, une apprentie du sculpteur Norman Tait, de faux masques et des sculptures autochtones ont été ouvertement vendus aux touristes à Vancouver comme étant authentiques.

Mme Turner, qui est décédée cette semaine, a passé des années à répertorier, suivre et contester les œuvres autochtones frauduleuses prétendant être authentiques, et a donné des conférences sur le sujet.

M. Hunt a déclaré qu’elle en avait fait beaucoup pour attirer l’attention sur le commerce illicite et avait aidé de nombreux artistes autochtones à revendiquer leurs droits d’auteur.

Lors d’une conférence au Burke Museum of Natural History and Culture à Seattle, elle a déclaré que quelques sculptures copiées en acajou avaient un aspect si authentique qu’elles avaient été exposées dans des galeries canadiennes.

Parmi les contrefaçons qu’elle a identifiées figurent des reproductions de sculptures du XIXe siècle dans de grands musées, comme un hochet de castor du British Museum, et des copies d’œuvres d’artistes contemporains de la côte nord-ouest, dont le célèbre sculpteur Bill Reid.

Elle a fait pression sur le gouvernement fédéral pour une plus grande protection des artistes autochtones, appelant à une loi, comme aux États-Unis, avec d’énormes amendes pour la vente d’œuvres autochtones qui ne sont pas authentiques.

L’Indian Arts and Crafts Act des États-Unis criminalise toute fausse représentation et copie de l’art autochtone. Il y a aussi une ligne téléphonique au sud de la frontière pour signaler facilement les copies non autorisées.

Dans une lettre ouverte au gouvernement fédéral, elle a appelé à des mesures pour lutter contre les fausses représentations sur le marché en ligne.

Mme Bovey, qui prévoit soulever à nouveau la question avec les ministres lorsque le Sénat reviendra de ses vacances d’été, a déclaré que peu de gens se rendent compte que l’art autochtone en vente dans les magasins canadiens pourrait être fabriqué en Chine, en Europe de l’Est et à Taïwan.

«Les acheteurs ne savent pas, les artistes n’ont pas les moyens de surveiller et les prédateurs s’amusent bien, a-t-elle déclaré. C’est du vol de leur iconographie. C’est voler le patrimoine culturel des gens et c’est moralement et légalement répréhensible.»

L’Agence des services frontaliers du Canada a déclaré qu’il n’y avait actuellement «aucune restriction à l’importation liée aux articles imitant l’art autochtone».

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