Sécurité en ligne: pas de consensus sur les obligations de retrait de contenus

Émilie Bergeron, La Presse Canadienne
Sécurité en ligne: pas de consensus sur les obligations de retrait de contenus

OTTAWA — Les experts chargés de conseiller le gouvernement fédéral dans l’élaboration d’un projet de loi sur la sécurité en ligne recommandent l’imposition d’obligations de retrait de contenus préjudiciables pour les enfants, mais ne s’entendent pas tous pour que de pareilles exigences s’appliquent à toute forme de publication potentiellement haineuse.

«Certains experts ont exprimé leur inquiétude quant à l’obligation de retirer toute forme de contenu, à l’exception peut-être du contenu qui appelle explicitement à la violence et à l’exploitation sexuelle des enfants», est-il écrit dans un résumé des discussions du groupe de 12 spécialistes publié vendredi par Ottawa.

Des membres du panel ont signalé qu’ils redoutent que les groupes marginalisés soient particulièrement touchés par une approche de suppression plutôt qu’une de «gestion de risques».

«Ils ont expliqué qu’au lieu d’être obligés de retirer du contenu, les services seraient obligés de gérer leurs risques, ce qu’ils pourraient faire en retirant du contenu, mais aussi en utilisant d’autres outils.»

D’autres experts ont plutôt dit préférer des obligations de retrait à portée plus vaste. «Ils ont expliqué qu’il valait mieux pécher par excès de prudence. Ils ont exprimé leur préférence pour un retrait excessif du contenu, plutôt qu’un retrait insuffisant», est-il souligné dans le compte-rendu.

Quoi qu’il en soit, tous sont d’avis que le cadre législatif sur lequel planche le ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, devra inclure des mesures de protection rigoureuses pour les enfants.

Pour ce faire, le gouvernement pourrait mettre de l’avant des mécanismes de signalement par les utilisateurs et «l’introduction d’échéanciers pour le retrait des contenus offensants spécifiquement préjudiciables aux enfants», ont évoqué les experts.

M. Rodriguez s’est dit «100 %» en accord au cours d’une entrevue avec La Presse Canadienne. «Un enfant qui est victime de violence sexuelle ou de tout type de violence, c’est tolérance zéro. Il faut que le contenu soit enlevé automatiquement et que tout soit fait pour trouver les personnes qui ont partagé ce type d’images-là ou qui ont posé des gestes inacceptables», a-t-il dit.

Questionné à savoir où loge le gouvernement sur l’idée d’imposer des exigences de retrait pour un plus large éventail de contenus, le ministre ne s’est pas avancé.

Il est aussi demeuré vague sur un autre aspect que les experts souhaitent voir inclus dans le cadre législatif du gouvernement, c’est-à-dire la lutte à la désinformation. Si le panel insiste sur la nécessité d’agir, il souligne qu’il n’est pas simple de trouver la bonne façon de s’y prendre.

«Ils ont exprimé (…) une extrême prudence à l’égard de la définition de la désinformation dans la législation pour un certain nombre de raisons, notamment parce que cela mettrait le gouvernement en position de distinguer le vrai du faux, ce qu’il ne peut tout simplement pas faire», est-il écrit dans le résumé de leurs délibérations ayant pris fin le mois dernier.

À ce sujet, M. Rodriguez a répondu que le gouvernement reconnaît le côté «très délicat de s’y attaquer». «C’est pour ça que l’on consulte les experts, les Canadiens et les gens qui œuvrent aussi dans le milieu de l’information», a-t-il affirmé alors qu’il amorçait une série de consultations qui doivent s’échelonner tout au long de l’été.

À son avis, l’éducation de la population pour l’aider à discerner le vrai du faux sur internet représente «une grande partie de la solution». Il n’a pas manqué de souligner qu’Ottawa finance des initiatives en ce sens.

Le gouvernement de Justin Trudeau promet de s’attaquer au contenu en ligne préjudiciable depuis plusieurs années. Peu de temps avant le déclenchement des dernières élections, les libéraux ont déposé le projet de loi C-36 qui visait à donner des outils aux citoyens victimes de haine en ligne. L’initiative, aussitôt morte au feuilleton, devait s’accompagner d’un autre projet de loi qui n’a finalement pas été déposé avant la campagne électorale.

Un cadre législatif et réglementaire avait toutefois été présenté et soumis à une consultation. Ce dernier ciblait cinq catégories de contenus: le discours haineux, l’incitation à la violence, le terrorisme, le partage non consensuel d’images intimes ainsi que l’exploitation sexuelle des enfants.

Vendredi, M. Rodriguez a promis que le gouvernement allait déposer son projet de loi aussi rapidement que possible tout en évitant de fixer un échéancier.

«Évidemment, le plus vite que ça fonctionne, mieux c’est parce qu’il y a des conséquences réelles à tout ce qui se passe en ligne. Je pense que le gouvernement doit agir et on agit, mais en même temps, on doit bien le faire (…) et c’est pour ça qu’on a (un) processus de consultations», a-t-il nuancé.

Les travaux parlementaires doivent reprendre le 19 septembre, après la pause estivale.

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