DUBLIN — Selon la Constitution irlandaise, la place de la femme est au foyer.
Les électeurs irlandais décideront vendredi, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, s’il convient de modifier ce document vieux de 87 ans afin d’en supprimer certains passages que le gouvernement juge obsolètes et sexistes. Les deux référendums portent sur la suppression d’une référence aux tâches domestiques des femmes et sur l’élargissement de la définition de la famille.
SUR QUOI PORTENT LES RÉFÉRENDUMS?
Le premier vote porte sur une partie de la Constitution qui s’engage à protéger la famille en tant que cellule primaire de la société. Il est demandé aux électeurs de supprimer la référence au mariage comme base «sur laquelle la famille est fondée» et de la remplacer par une clause stipulant que les familles peuvent être fondées «sur le mariage ou sur d’autres relations durables». S’il est adopté, il s’agira du 39e amendement à la Constitution irlandaise.
Le second changement ― une proposition de 40e amendement ― supprimerait une référence au rôle des femmes au sein du foyer en tant que soutien essentiel de l’État, ainsi qu’une déclaration selon laquelle «les mères ne doivent pas être obligées par la nécessité économique de s’engager dans un travail en négligeant leurs devoirs au sein du foyer». Elle ajouterait une clause stipulant que l’État s’efforcera de soutenir «les soins prodigués par les membres d’une famille les uns aux autres».
POURQUOI CES CHANGEMENTS INTERVIENNENT-ILS MAINTENANT?
La Constitution de l’Irlande date de 1937, mais le pays n’a officiellement pris le nom de République d’Irlande qu’en 1949. L’Irlande a énormément changé depuis, passant d’un pays conservateur, très majoritairement catholique, où le divorce et l’avortement étaient illégaux, à une société de plus en plus diversifiée et socialement libérale. La proportion de résidents catholiques est passée de 94,9 % en 1961 à 69 % en 2022, selon l’Office central des statistiques.
La transformation sociale s’est traduite par une série de changements constitutionnels. Les électeurs irlandais ont légalisé le divorce lors d’un référendum en 1995; soutenu le mariage homosexuel lors d’un vote en 2015; et abrogé l’interdiction de l’avortement en 2018.
Le premier ministre Leo Varadkar a annoncé il y a un an, à l’occasion de la Journée internationale de la femme 2023, que le gouvernement organiserait un référendum pour consacrer l’égalité des sexes et supprimer les termes discriminatoires de la constitution. Les nouveaux votes visent à supprimer un «langage très démodé» et à reconnaître les réalités de la vie familiale moderne, a expliqué M. Varadkar, premier dirigeant irlandais issu d’une minorité ethnique, qui vit une relation homosexuelle mais n’est pas marié.
LES CHANGEMENTS SONT-ILS LARGEMENT SOUTENUS?
Les sondages d’opinion indiquent que le «oui» l’emportera lors des deux scrutins, mais de nombreux électeurs restent indécis et le taux de participation pourrait être faible.
Le débat actuel est moins tendu que ceux sur l’avortement et le mariage homosexuel. Les principaux partis politiques irlandais soutiennent tous les changements, y compris les partenaires centristes de la coalition gouvernementale, Fianna Fail et Fine Gael, et le plus grand parti d’opposition, Sinn Fein.
Les opposants affirment que la formulation des changements est mal pensée et qu’elle pourrait avoir des conséquences inattendues ·― un argument qui a semblé gagner du terrain dans les derniers jours de la campagne.
L’un des partis politiques appelant à voter «non» est Aontú, un groupe traditionaliste qui s’est séparé du Sinn Fein en raison du soutien apporté par le grand parti à l’avortement légal. Le leader d’Aontú, Peadar Tóibín, a déclaré que la formulation du gouvernement était si vague qu’elle conduirait à des querelles juridiques et que la plupart des gens «ne savaient pas ce que signifiait une relation durable».
Le Free Legal Advice Centers, une organisation caritative juridique, s’est dit préoccupé par le fait que la modification de la section sur les soins contienne «des stéréotypes nuisibles tels que le concept selon lequel la fourniture de soins (…) est la responsabilité privée de membres de la famille non rémunérés, sans aucune garantie d’aide de l’État».
Certains défenseurs des droits des personnes handicapées estiment que l’accent mis sur les soins traite les personnes handicapées comme un fardeau, plutôt que comme des individus ayant des droits qui devraient être garantis par l’État.
M. Varadkar, qui insiste sur le fait que l’État ne renonce pas à ses responsabilités en matière de soins, a prévenu que le rejet des modifications «serait un recul pour le pays».
«Si le « non » l’emporte, des centaines de milliers d’enfants irlandais se réveilleront samedi matin en apprenant que la société irlandaise a décidé que leur famille n’est pas une famille constitutionnelle, qu’elle n’est pas une famille égale, simplement parce que leurs parents ne sont pas mariés, a déclaré M. Varadkar cette semaine. Si nous votons « oui », nous dirons en tant que société que toutes les familles sont égales.»
QUAND LES RÉSULTATS SERONT-ILS CONNUS?
Les bureaux de vote sont ouverts de 7 heures à 22 heures, heure locale, vendredi. Le dépouillement des bulletins de vote de chacune des 39 circonscriptions irlandaises commencera à 9 heures samedi, et les résultats seront probablement connus samedi après-midi ou dans la soirée.
Les citoyens irlandais âgés de 18 ans ou plus, soit quelque 3,3 millions de personnes, ont le droit de voter.