Des agents canadiens demandent à un soignant s’il a soigné des membres du Hamas

Sarah Smellie, La Presse Canadienne
Des agents canadiens demandent à un soignant s’il a soigné des membres du Hamas

Des avocats de partout au pays s’élèvent contre le ministère fédéral de l’Immigration pour avoir demandé à un professionnel de la santé fuyant la guerre à Gaza s’il avait soigné des soldats du Hamas blessés.

La Presse Canadienne a obtenu copie d’une lettre d’un agent du bureau canadien de l’immigration en Jordanie à un professionnel de la santé demandant un visa temporaire par l’entremise du programme fédéral pour les membres d’une famille d’un citoyen canadien qui vivent à Gaza.

La lettre demande au demandeur s’il a déjà «fourni des soins à un membre du Hamas blessé» ou s’il a pu le refuser, comment il a pu s’en sortir «sans conséquence». On lui demande aussi de parler des deux emplois qu’il a occupés dans des hôpitaux de Gaza.

Kelly O’Connor, une avocate en immigration de Toronto, dit qu’elle a été estomaquée en lisant cette question. Selon elle, un professionnel de la santé qui refuserait de soigner un blessé sur un champ de bataille contreviendrait gravement à la convention de Genève.

«C’est tout à fait scandaleux que le gouvernement pose ce genre de question (…). Ce non-respect de la convention de Genève, ce n’est pas quelque chose que l’armée canadienne appuierait», avance-t-elle.

Le programme de visa du Canada fait l’objet de controverses depuis sa mise en place, le 9 janvier. Il permet à des citoyens canadiens ou des résidents permanents de faire sortir des membres de leur famille de la bande de Gaza marquée par la guerre entre Israël et le Hamas qui a coûté la vie à plus de 35 000 Palestiniens, selon les responsables de la santé de Gaza.

L’offensive israélienne a été déclenchée à la suite d’une attaque menée par le Hamas contre Israël au cours de laquelle environ 1500 personnes, en grande partie des civils, ont été tuées, le 7 octobre. Quelque 250 autres ont été enlevées et servent d’otages.

Les demandeurs d’un visa temporaire doivent franchir plusieurs étapes. Un membre de sa famille installé au Canada doit notamment remplir un «formulaire de déclaration solennelle» indiquant des renseignements le concernant lui et le demandeur et les membres de la famille accompagnant ce dernier. Ces renseignements sont fortement personnels, comme la liste des emplois depuis l’âge de 16 ans ou une description des cicatrices ou des tatous.

«[Ces questions] vont bien au-delà de ce qui est normalement demandé dans un formulaire de demande d’immigration», constate Me O’Connor.

Plus de 7500 personnes ont rempli le formulaire obligatoire du 9 janvier au 1er avril, selon des données obtenues en vertu de la Loi d’accès à l’information. Au 29 avril, seulement 179 personnes avaient obtenu un visa temporaire.

Randall Cohn, un avocat en immigration établi à Vancouver, juge que les questions de la lettre «sont manifestations illégalement et absolument monstrueuses». Il dit avoir vu personnellement deux lettres concernant des soins médicaux à des membres du Hamas, envoyées à un médecin et à une infirmière. Il ajoute être au courant de deux autres lettres semblables.

Les destinataires des lettres craignaient de les montrer aux avocats parce qu’ils craignaient d’être punis par les agents de l’immigration canadiens, ajoute Me Cohn. Il se demande combien d’autres personnes ont pu en recevoir sans s’ils ne les montrent à d’autres gens.

Il dit espérer que ces questions ont été envoyées par erreur par un agent «trop zélé» et que la situation a été corrigée depuis ce temps. «Les Canadiens doivent être mis au courant que le système d’immigration est si centralisé et travaille de façon si désordonnée qu’il permet ce genre de traitement discriminatoire qui demeure impuni», déplore-t-il.

Le ministère fédéral de l’Immigration a indiqué qu’une entrevue avec le ministre Marc Miller sur ce sujet était impossible. Dans une déclaration écrite transmise par courriel, le porte-parole Jeffrey MacDonald dit qu’il est normal qu’un demandeur de visa se fasse poser des questions supplémentaires sur son travail, ses voyages et sa présence sur internet avant d’entrer au pays.

M. MacDonald a refusé de commenter les lettres, citant des raisons de confidentialité.

Lorne Waldman, un avocat de Toronto qui a écrit un manuel fort lu sur la législation canadienne en matière d’immigration, rappelle que le Canada considère le Hamas comme un groupe terroriste. Il juge que le Canada a doit de vérifier si chaque demandeur de visa représente une menace à la sécurité du pays.

«Mais ce type de question est complètement inacceptable, concède-t-il. Si un médecin accourait sur les lieux d’une fusillade, il ne demanderait pas aux blessés s’ils font partie d’une bande criminelle avant de les soigner.»

Richard Kurland, du groupe Lawyers for Secure Immigration, qui veut que le gouvernement scrute attentivement les demandeurs de visa en leur posant un maximum de questions, juge qu’un tel questionnaire pose des problèmes, notamment parce qu’il ne cible que les membres du Hamas et non les autres groupes terroristes en activité à Gaza.

«Et même un assassin terroriste a droit à des soins médicaux», ajoute-t-il.

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