MONTRÉAL, Que. — Après quatre semaines marquées par des averses torrentielles, une chaleur torride et deux tentatives légales échouées pour les faire quitter, les manifestants propalestiniens restent sur le campus du centre-ville de l’Université McGill.
La ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, Pascale Déry, a déclaré que leur présence continue constitue un affront à la primauté du droit.
«Ces campements doivent être démantelés, a-t-elle dit aux journalistes cette semaine à Québec. Ce n’est pas l’endroit approprié. Encore une fois, nous parlons de terrains privés actuellement occupés.»
McGill, qui a échoué la semaine dernière dans sa tentative d’obtenir une injonction, a également qualifié le campement d’occupation illégale de sa propriété.
Mais alors que les manifestants, qui exigent que les écoles se désinvestissent des entreprises israéliennes et coupent les liens avec les universités israéliennes, ont érigé des tentes sur les campus canadiens le mois dernier, la légalité de leurs actions reste un sujet de débat.
Des experts affirment que la réponse n’est pas aussi claire que le suggèrent la ministre et McGill.
Frédéric Bérard, avocat constitutionnaliste et professeur à l’Université de Montréal, affirme que même si un campus appartient à une université, il ne faut pas le concevoir de la même manière qu’une résidence privée qui appartient à un individu.
M. Bérard a expliqué, dans une entrevue cette semaine, que contrairement à une résidence privée, un campus est un lieu de débat, et que le droit du public d’accéder et d’utiliser cet espace pour la liberté d’expression et de réunion pacifique est inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés.
Il a affirmé qu’un tribunal examinant une contestation d’un campement doit décider si le droit à la liberté d’expression l’emporte sur les droits de propriété, ce qui est le cas dans la plupart des cas.
Emmett Macfarlane, professeur de sciences politiques spécialisé en droit constitutionnel à l’Université de Waterloo, a déclaré qu’il existe un débat juridique pour savoir si les universités, en tant qu’entités privées, sont assujetties à la Charte.
«Il est peut-être vrai que les campus universitaires ont le statut juridique de propriété privée, mais je pense qu’il y a ici un principe plus large selon lequel ils ne sont pas comme n’importe quel autre espace privé», a-t-il dit, comparant un campus à un parc public et à la colline du Parlement.
«Il s’agit d’institutions publiques et d’universités publiques, et l’utilisation de leur espace dans le cadre d’un forum public de libre expression est bien établie.»
Il a qualifié la réaction presque universelle des administrateurs universitaires canadiens de demander le retrait des campements de protestation de manquement au respect de la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique.
«Partout en Amérique du Nord, et oui, au Canada, ils ont été beaucoup trop prompts à exiger que les campements soient supprimés, a déclaré M. Macfarlane. Dans presque toutes les circonstances que nous voyons, y compris dans ma propre université (…), les campements ont été paisibles.»
Les manifestations sont par définition perturbatrices, a-t-il ajouté, mais les étudiants et le personnel n’ont pas été empêchés d’assister aux cours.
Ailleurs en Amérique du Nord
L’Université de Toronto a publié vendredi un avis d’intrusion contre un campement propalestinien sur un campus, s’engageant à prendre «toutes les mesures juridiques nécessaires» si les manifestants ne quittaient pas les lieux d’ici lundi matin.
Des universités américaines ont été témoins d’affrontements et, plus tôt ce mois-ci, la police d’Edmonton a démantelé un campement propalestinien sur le campus de l’Université de l’Alberta.
Des étudiants et des universitaires ont déclaré que la police avait lancé des gaz lacrymogènes, et une vidéo publiée sur les réseaux sociaux montre la police frappant des étudiants avec des matraques. Toutefois, la police a nié avoir utilisé des gaz lacrymogènes et a déclaré que son recours à la force était limité.
«Presque toutes les violences que nous avons vues en relation avec ces manifestations particulières ne sont pas le résultat des manifestants, mais plutôt le résultat des actions de la police et des universités visant à faire supprimer les campements ou à mettre un terme aux manifestations», a soutenu M. Macfarlane.
Mais cela ne signifie pas que les droits à la liberté d’expression et au rassemblement soient illimités. Les discours considérés comme haineux ne sont pas protégés.
Jusqu’à présent, a indiqué Frédéric Bérard, les tribunaux se sont prononcés contre les affirmations de McGill selon lesquelles un tel comportement avait lieu sur le campus, même si le discours est considéré comme controversé par certains.
«Chaque campement est unique, a-t-il dit. On ne peut pas comparer McGill à l’Université du Québec à Montréal, à l’Université de Toronto ou à ce qui se passe à Edmonton. Le tribunal doit prendre en compte les preuves dont il dispose.»
M. Bérard a déclaré qu’il n’y a pas de limite stricte à la durée pendant laquelle un campus peut être occupé. Il a donné l’exemple des manifestations du «convoi de la liberté» à Ottawa en 2022, affirmant que si elles s’étaient produites sur un campus universitaire et n’avaient pas bloqué l’accès du public, elles auraient théoriquement pu se poursuivre indéfiniment.
Emmett Macfarlane a indiqué que le droit d’occuper un espace public, comme d’autres droits garantis par la Charte, est soumis à des limites, mais que les universités doivent faire preuve de retenue tant que les manifestations restent pacifiques.
«La question est de savoir quelle marge d’appréciation notre société et la loi ont des perturbations temporaires de l’espace public», s’est-il interrogé.