Rendre le Québec bilingue: «Quel manque de respect», s’insurge Jolin-Barrette

Michel Saba, La Presse Canadienne
Rendre le Québec bilingue: «Quel manque de respect», s’insurge Jolin-Barrette

OTTAWA — Le ministre québécois Simon Jolin-Barrette a ajouté sa voix aux bloquistes et aux conservateurs à Ottawa qui se disent outrés par des propos du député lavallois du Parti libéral du Canada Angelo Iacono, selon qui le Québec gagnerait à devenir une province officiellement bilingue plutôt que de n’avoir que le français comme langue officielle.

«Non. (…) Quel manque de respect», s’est insurgé vendredi sur X celui qui a piloté la réforme de la Charte de la langue française, aussi connue sous le nom de projet de loi 96.

«Le Québec est un État de langue française et le demeurera, poursuit-il. C’est ce qui le distingue. Le fédéral est toujours là pour défendre la diversité, mais quand vient le temps de défendre la spécificité du Qc, il est aux abonnés absents.»

M. Iacono a tenu ses propos controversés jeudi lors d’une réunion du Comité permanent des langues officielles, à Ottawa. «Je crois que le Québec, et je crois que le Canada, devrait être un pays bilingue, pour être plus fort et pas être seulement une province unilingue francophone, parce que là vous allez écarter les autres qui veulent apprendre le français», a-t-il affirmé.

Le député, qui représente la circonscription d’Alfred-Pellan, fait partie des libéraux qui se relayaient dans une tentative apparente d’obstruction parlementaire pour empêcher la tenue d’un vote visant à ce que le comité demande l’expulsion de leur collègue Francis Drouin pour avoir traité au début du mois des témoins militant pour la protection de la langue de «pleins de marde».

Le sujet n’a pas tardé à s’inviter à la Chambre des communes. «Selon lui (M. Iacono), le français nous réduit», s’est indignée la députée du Bloc québécois Marilène Gill (Manicouagan), lors de la période des questions.

Mme Gill, qui juge qu’un tel commentaire est «révélateur d’un problème de culture au Parti libéral» où les faux pas linguistiques se multiplient, a demandé s’il s’agit d’un point de vue partagé par les libéraux et s’ils entendent rappeler à l’ordre leur député.

Le leader du gouvernement à la Chambre des communes, Steven MacKinnon, n’a pas répondu directement, mais il a réitéré que sa formation reconnaît le déclin du français et a un «dévouement» envers «nos deux langues officielles au pays».

Alors que les bloquistes revenaient à la charge, il est passé à l’attaque. «Le Bloc, par contre, est là pourquoi? Faire une chose: mettre (des) voisins québécois contre (des) voisins québécois, créer la chicane et faire en sorte que les gens se divisent. Nous, on n’est pas là pour ça. On est pour l’unité linguistique.»

«Je suis estomaqué»

Mais l’équipe de Justin Trudeau n’était pas au bout de ses peines alors que les conservateurs se sont mis de la partie.

«Je suis estomaqué, a lancé le député de Mégantic—L’Érable, Luc Berthold. C’est inacceptable! Et pas un seul député libéral du Québec de ce caucus ne s’est levé pour dénoncer ces propos, pas même le député de Papineau (le premier ministre).»

C’est la députée d’Orléans, la Franco-ontarienne Marie-France Lalonde, qui est allée au front. «Ça va me permettre de dire l’inaction des conservateurs pendant neuf ans par rapport aux priorités au niveau de la modernisation des langues officielles, au niveau du plan d’action», a-t-elle envoyé.

Il n’y a qu’une province officiellement bilingue au pays: le Nouveau-Brunswick. Le Québec a pour unique langue officielle le français. À l’inverse, l’anglais est la seule langue officielle dans les huit autres provinces de la fédération canadienne: la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador.

Bien que le Canada ait deux langues officielles, la Constitution prévoit que les deux ordres de gouvernement – le fédéral et les provinces – ont le pouvoir de légiférer en matière linguistique dans les champs de compétence qu’elle leur attribue.

Pour appuyer son argumentaire, le député Iacono a raconté avoir commencé son parcours scolaire en anglais «parce que les francophones, (…) les Québécois, les français de souche, ne voulaient pas avoir les Italiens parce qu’ils se sentaient menacés», bien qu’il «était dû pour aller dans une école française».

À l’université, après ses études de science politique à McGill, il a choisi de poursuivre ses études de droit dans «la plus francophone, la plus québécoise, on va dire la plus «french»» des universités: l’UQAM.

«Et je me suis bien intégré, a dit M. Iacono. Et j’ai été bien respecté. Et regardez: je parle la langue française aujourd’hui. Il y a des fois des mots que je ne comprends pas, il y a des fois des mots que je dis un peu avec l’accent italien, mais je suis un produit du Québec, je suis né au Québec, et j’ai appris le français.»

En fait, les données de Statistique Canada révèlent que le taux de bilinguisme (anglais-français) augmente au Québec et diminue hors de cette province, si bien qu’il stagne dans l’ensemble du pays.

Le Québec est d’ailleurs de loin la province où la proportion de la population capable de soutenir une conversation en français et en anglais est la plus élevée. Elle est passée de 40,8 % au recensement de 2001 à 46,4 % lors de celui de 2021.

En parallèle, le dernier recensement confirme une fois de plus le recul du français au Québec à travers tous ses indicateurs.

De 2016 à 2021, Statistique Canada a observé une baisse de la proportion de Québécois qui avaient le français comme langue maternelle (de 77,1 % à 74,8 %), comme langue parlée de façon prédominante à la maison (de 79,0 % à 77,5 %), comme première langue officielle parlée (de 83,7 % à 82,2 %) et de ceux étant capables de soutenir une conversation en français (de 94,5 % à 93,7 %).

Quant à la langue la plus souvent utilisée dans les milieux de travail, le français est passé de 79,9 % à 79,7 %.

Tant le Bloc que le Parti conservateur ont rappelé que les propos de M. Iacono s’ajoutent à une série de cas où les libéraux se sont mis les pieds dans les plats en matière de défense du français au Québec.

Ils ont notamment rappelé que l’élue de Saint-Laurent, Emmanuella Lambropoulos, avait nié le déclin du français, lorsqu’elle a aussi faussement indiqué que la loi 96 empêche les anglophones d’être soignés ou encore lorsque le député franco-ontarien Francis Drouin a tenu des propos vulgaires.

– Avec la collaboration d’Émilie Bergeron, à Ottawa, et de Caroline Plante, à Québec

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