Un balado raconte la purge contre la communauté LBGT pendant la Guerre froide

Jim Bronskill, La Presse Canadienne
Un balado raconte la purge contre la communauté LBGT pendant la Guerre froide

OTTAWA — Plusieurs hauts fonctionnaires se sont réunis silencieusement dans la salle du comité du Conseil privé un mercredi après-midi d’août 1961 pour discuter d’une question épineuse.

Le groupe envisageait un programme de recherche qui pourrait identifier les personnes dont «l’instabilité» les empêcherait, pour des raisons de sécurité, d’être affectées à des postes gouvernementaux sensibles.

À cette occasion, le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et divers hauts fonctionnaires ont été rejoints par Frank Robert Wake, professeur de psychologie à l’Université Carleton, prêt à contribuer à l’étude de l’affaire.

La réunion était une étape importante vers ce qui allait devenir péjorativement connu sous le nom de Fruit Machine – en fait une série de tests visant à déterminer si quelqu’un était homosexuel, dans le langage de l’époque.

Dans le cadre de politiques qui ont pris racine dans les années 1950 et se sont poursuivies jusqu’au début des années 90, les agences fédérales ont enquêté, sanctionné et parfois congédié les membres lesbiens et gais des Forces armées canadiennes, de la GRC et de la fonction publique parce qu’ils étaient jugés inaptes.

Le journaliste montréalais Shawn Dearn se penche sur cette saga étrange et souvent troublante dans la deuxième saison de «Queer Legends: An Oral History Podcast». La série documentaire en huit épisodes raconte l’histoire de la purge LGBT et de ses répercussions qu’elle a eues sur des milliers de vies.

«Je veux vraiment que les gens sachent que cela s’est produit. Tant de Canadiens sont complètement inconscients du fait que cela s’est produit», a déclaré M. Dearn, qui a été le premier président ouvertement gai de la Tribune de la presse parlementaire et a déjà travaillé comme fonctionnaire fédéral.

Au cours de la purge, de nombreux employés ciblés qui ont réussi à conserver leur emploi ont été rétrogradés, n’ont pas pu bénéficier de promotions ou ont vu leurs habilitations de sécurité annulées.

La campagne était motivée par l’idée erronée selon laquelle la «faiblesse de caractère» des homosexuels les rendait vulnérables au chantage des agents des renseignements russes dans le climat géopolitique anxieux de l’époque.

Un document qui détaille la réunion pour discuter du plan de recherche de Frank Robert Wake est l’un des nombreux documents publiés en ligne par le LGBT Purge Fund, une société à but non lucratif créée pour gérer une partie de l’argent gagné dans le cadre d’un recours collectif avec le gouvernement.

Le règlement était un élément clé des excuses fédérales présentées en novembre 2017 pour des décennies de discrimination contre les membres de la communauté LGBT.

S’exprimant à la Chambre des communes, le premier ministre Justin Trudeau a qualifié cette pensée de « préjugée et erronée», équivalant à «rien de moins qu’une chasse aux sorcières».

Des tests peu concluants

Shawn Dearn, dont le balado est soutenu en partie par une subvention du Purge Fund, s’est penché sur de nombreux documents d’archives récemment publiés et s’est entretenu avec des victimes, des universitaires, des chercheurs, d’anciens politiciens et même un chef d’état-major de la défense à la retraite.

Une version française est en préparation, ainsi qu’un volet pédagogique destiné aux écoles.

Dans un prochain épisode sur Fruit Machine, M. Dearn note que les «échelons les plus élevés de la bureaucratie» du Canada étaient activement impliqués dans la recherche de moyens techniques pour identifier les homosexuels.

Lors de la réunion de 1961, il a été question du projet de Frank Robert Wake, alors qu’il était en congé sabbatique de Carleton, de rendre visite aux agences de sécurité américaines pour savoir comment elles abordaient la question.

Selon le résumé de la réunion, M. Wake a suggéré que «des méthodes de réhabilitation des employés de valeur pourraient être possibles à la lumière des tentatives dans ce sens qui sont en cours aux États-Unis».

Dans un rapport spécial, M. Wake a proposé une expérience pour évaluer les réactions aux images destinées à susciter l’intérêt des hommes et des femmes. Une batterie de tests mesurerait la réaction aux stimuli, à la transpiration cutanée et au pouls.

Bien que le projet ait été approuvé en 1963, il était difficile de trouver des sujets de test. Les résultats furent, au mieux, peu concluants et, en 1967, le concept fut abandonné.

Shawn Dearn a demandé à l’Université Carleton une entrevue sur l’implication de Frank Robert Wake dans ce projet malheureux. Un porte-parole lui a déclaré que l’université était «incapable de fournir d’autres commentaires sur cette période honteuse et bien documentée de l’histoire du Canada».

M. Dearn a été déçu de la réponse, arguant que les archives de l’université pourraient contenir des informations précieuses sur le travail de M. Wake.

«Franchement, ils manquent de respect aux personnes qui ont subi ce programme et à toutes les victimes de la purge qui cherchent à tourner la page.»

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