Dix ans après Moncton, la GRC tarde à mettre en œuvre une recommandation de MacNeil

Michael MacDonald, La Presse Canadienne
Dix ans après Moncton, la GRC tarde à mettre en œuvre une recommandation de MacNeil

HALIFAX — Près de 10 ans après qu’un homme souffrant de troubles mentaux eut tué trois agents de la GRC à Moncton, la police fédérale n’a toujours pas mis en œuvre une des principales recommandations du rapport publié en 2014.

Le soir du 4 juin 2014, Justin Bourque, armé d’une carabine semi-automatique et d’un fusil de chasse, a quitté son domicile afin d’aller tuer des policiers. Nourri de sa paranoïa et de sa haine du gouvernement, l’individu âgé de 24 ans a tué trois agents: Fabrice Gevaudan, David Ross et Douglas Larche.

Deux autres policiers, Darlene Goguen et Éric Dubois, ont été blessés au cours de la confrontation. Bourque s’est ensuite réfugié dans un secteur boisé à l’extrémité d’un quartier résidentiel.

Pendant plus de 29 heures, la ville de 69 000 habitants a été sous un virtuel état de siège. Finalement, une équipe à bord d’un hélicoptère muni d’une caméra thermique a pu repérer le tueur dans la nuit du 5 juin.

Bourque a été arrêté et condamné à une peine d’emprisonnement sans précédent de 75 ans. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a ensuite réduit à 25 ans la période pendant laquelle il ne pourra pas demander une libération conditionnelle.

Six mois après la tuerie, un sous-commissaire de la GRC à la retraite, Alphonse MacNeil, avait publié un rapport contenant 64 recommandations. Il demandait notamment au corps policier d’examiner «la façon dont [il] forme les superviseurs de première ligne en matière de commandement et de contrôle au cours d’incidents critiques.»

Dans son rapport, M. MacNeil racontait que la nuit du 4 juin, des superviseurs de la GRC «ont été confrontés à une situation qui, de bien des façons, dépassait leur formation». Après le début du drame, le chaos s’était installé.

La GRC a mis en place deux formations sur les interventions lors d’un événement: un cours de base en ligne de 90 minutes et un cours plus avancé de 16 heures. Ces deux cours étaient obligatoires pour les superviseurs de première ligne en 2018.

Mais au cours des années qui ont suivi, peu d’agents se sont inscrits à ces deux cours. Le problème a été dévoilé lors de l’enquête publique sur la tuerie de masse survenue en Nouvelle-Écosse en 2020. Un autre tireur avait assassiné 22 personnes, dont un policier de la GRC, au cours d’un carnage qui s’était étendu pendant 13 heures, les 18 et 19 avril.

Le rapport complet de la Commission des pertes massives, publié il y a un an, a confirmé qu’aucun des trois sous-officiers de garde ce soir-là n’avait suivi la formation de la GRC sur le commandement des interventions critiques pour les superviseurs de première ligne. Un seul avait suivi la formation de base.

«Nous constatons que bon nombre des superviseurs qui ont participé à l’intervention initiale en cas d’incident critique à Portapique n’avaient pas reçu la formation recommandée Alphonse MacNeil […], peut-on lire dans le rapport. À cet égard, ces superviseurs n’étaient pas mieux placés en avril 2020 que leurs collègues ne l’étaient à Moncton en juin 2014.»

La Commission mettait en doute les déclarations de la GRC voulant que cette recommandation du rapport MacNeil eût été mise en œuvre.

«Une recommandation n’est pas qualifiée à juste titre de ‘mise en œuvre’ si une formation a été conçue en réponse à cette recommandation, mais plutôt si cette formation n’a pas été suivie par tous ou par une grande partie des personnes auxquelles elle s’adresse.»

La Commission recommandait que la GRC commande à un expert externe une évaluation de sa formation Intervention initiale en cas d’incident critique pour les superviseurs de première ligne.

Il y a deux mois, le commissaire de la GRC, Mike Duheme faisait un compte rendu des progrès de la GRC à mettre en œuvre les recommandations. Il en avait profité pour publier les résultats de l’examen externe qui reconnaissait que des améliorations étaient nécessaires dans cette formation. De plus, l’examen confirmait que le taux de participation à la formation demeurait bas.

Au 31 mars 2023, seulement 14% des agents avaient suivi le cours avancé. L’objectif de la GRC était de 55 %. Si on montait dans la hiérarchie, on constate que 44 % des caporaux avaient complété la formation à la même date. L’objectif était de 70 % pour mars 2024, mais les plus récentes données n’étaient pas disponibles.

Chez les sergents, le pourcentage s’élevait à 43 %, bien en deçà de l’objectif de 85 % pour mars 2024.

La GRC a reconnu avoir reçu une demande d’entretien de La Presse Canadienne, mais elle n’y a pas donné suite.

Christian Leuprecht, un professeur de sciences politiques de l’Université Queen’s, à Kingston, dit que la GRC est une organisation qui n’a jamais bougé rapidement et qui réclame des ressources depuis longtemps.

«Elle n’a jamais disposé de ressources financières et humaines suffisantes parce que la demande dépasse toujours les ressources», souligne-t-il.

Selon lui, ce manque de ressources est attribuable par le peu d’intérêt apparent du gouvernement fédéral pour réformer les forces policières. «Si cela prend 10 ans, la conclusion qu’on peut en tirer, c’est que personne sur la scène politique ne s’en préoccupe.»

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