«Personne ayant un vagin»: «un cas de désinformation», déplore le juge en chef Wagner

Émilie Bergeron, La Presse Canadienne
«Personne ayant un vagin»: «un cas de désinformation», déplore le juge en chef Wagner

OTTAWA — L’émoi qu’a causé l’emploi de l’expression «personne ayant un vagin» dans un jugement de la Cour suprême du Canada est «un exemple clair de désinformation» aux yeux du juge en chef du plus haut tribunal au pays, Richard Wagner, qui met en garde, de façon plus générale, contre les «dérives» dont le système judiciaire «n’est pas à l’abri».

«Les gens devraient au moins lire les jugements avant de les critiquer», a-t-il dit lundi en ouverture de sa conférence de presse annuelle au cours de laquelle il se rend disponible pour répondre aux questions des journalistes parlementaires à Ottawa.

Questionné sur l’attention que s’est attirée le jugement de mars R. c. Kruk parce que la formulation «personne ayant un vagin» y figurait, M. Wagner a souligné qu’«en aucune circonstance, la Cour suprême aurait voulu dévaluer la notion de femme au Canada, au contraire».

La décision de 249 pages réaffirme les droits des plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle, ont fait remarquer plusieurs experts.

La formulation «personne ayant un vagin» n’y apparaît qu’une seule fois, au paragraphe 109 très précisément. Le mot «femme», quant à lui, apparaît 67 fois.

Or, une motion proposée par la ministre québécoise responsable de la Condition féminine, Martine Biron, a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale dans le but de «réitère(r) l’importance de conserver le mot »femme» et se dissocie(r) de l’utilisation de termes ou de concepts contribuant à invisibiliser les femmes».

«Quelqu’un, un élu, a lu un article sans vérifier peut-être l’origine et qui commentait un de nos jugements de la Cour suprême et lui donnait un sens erroné», a dit le juge en chef Wagner en prenant soin de ne pas nommer Mme Biron. Il a rappelé que, «avec cette prémisse de base», l’élue «a réussi à convaincre d’autres élus», ce qui aura eu pour effet de «condamner le libellé de cette décision».

«Voilà un exemple clair de désinformation et je trouve ça dangereux parce qu’on parle de personnes en autorité. Et des gens qui n’ont pas lu la décision peuvent croire qu’effectivement il y a un certain sens, une certaine vérité à ça.»

Dans une déclaration écrite, Mme Biron n’a pas voulu répondre directement aux commentaires de M. Wagner. «Bien que j’ai lu le jugement, je ne veux pas m’engager dans un débat public sur cette question avec le juge en chef de la Cour Suprême, que je respecte, a-t-elle soutenu. Cela dit, mon rôle à titre de ministre responsable de la Condition féminine est de protéger et défendre les droits des femmes.»

M. Wagner a noté que certains élus avaient reconnu qu’ils s’étaient prononcés trop vite en appuyant l’initiative de Mme Biron. Il a ajouté qu’il n’aurait «jamais pensé» que la désinformation «allait prendre de telles couleurs».

Quelques jours après l’adoption du texte par l’Assemblée nationale, le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay, s’était présenté devant la presse avec un air repentant, promettant que sa formation politique ferait preuve de vigilance et mènerait des «vérifications» avant de voter en faveur des motions du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Québec solidaire avait semblé avoir quelques regrets, son chef parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois mentionnant que «c’est allé beaucoup trop vite».

À ce moment-là, le Parti québécois (PQ) et la CAQ étaient restés sur leurs positions. La ministre Biron avait déclaré à Radio-Canada n’avoir «aucun regret», parce que l’expression «personne avec un vagin» est chargée, selon elle. Le leader du PQ, Paul St-Pierre Plamondon, avait assuré que ses troupes avaient «évalué le jugement», ajoutant que la formulation apparaissant à une reprise dans le jugement était «inexplicable».

Le juge Wagner émet l’hypothèse qu’un scénario semblable à celui de mars dernier «n’arrivera peut-être pas très souvent». «Mais il faut être quand même prudent et il faut garder ça à l’esprit.»

La désinformation est un enjeu sur lequel M. Wagner s’est prononcé à maintes reprises par le passé et il n’a pas manqué de le faire à nouveau lundi.

«Le défi est plus présent que jamais, à l’ère des médias sociaux et de la polarisation observée au sein de la société et en particulier au sud de notre frontière», a-t-il déclaré en faisant allusion au contexte américain. Il a noté que le phénomène mine la confiance des individus – «par ailleurs de bonne foi» – dans leurs institutions.

«Le système judiciaire (canadien) n’est pas à l’abri des dérives», a-t-il ajouté en faisant référence à des «attaques» dont les juges font l’objet. M. Wagner n’a pas été en mesure de préciser s’il y avait eu une augmentation d’incidents.

Cependant, il a déploré que des élus, au pays, ont «tenté de porter ombrage à des décisions parce qu’elles avaient été rendues par des juges nommés par le gouvernement fédéral».

«Ce genre de commentaire gratuit là doit être évité. C’est comme ça qu’on va protéger nos institutions.»

Tout au long de sa conférence de presse, le juge en chef Wagner a répété que les décisions de la Cour suprême pourront toujours être source de débats souhaitables en démocratie, insistant sur la façon de le faire de façon «informée».

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