Le Collège des médecins se dote d’un plan pour regagner la confiance des Autochtones

Katrine Desautels, La Presse Canadienne
Le Collège des médecins se dote d’un plan pour regagner la confiance des Autochtones

MONTRÉAL — En réponse à un rapport de 2022 de deux chercheuses de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue qui avait révélé des stérilisations et interruptions de grossesse imposées aux femmes des Premières Nations et Inuit, le Collège des médecins du Québec (CMQ) se dote d’un plan d’action pour s’attaquer à ces enjeux afin d’intervenir de manière préventive.

Le rapport de recherche avait mis en lumière des interventions gynécologiques ou obstétricales réalisées à l’insu des patientes ainsi que «des pressions subies par de jeunes patientes pour accepter une stérilisation définitive, en dépit de leur âge et sans que d’autres options de contraception leur soient proposées». Ces événements sont survenus entre 1980 à 2019.

Intitulé «Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec», le rapport a été coécrit par les chercheuses Suzy Basile et Patricia Bouchard de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Dans le cadre de leur recherche, 35 femmes ont accepté de raconter leur expérience.

La publication du rapport de recherche avait ravivé l’indignation des Québécois à la suite du décès tragique de Joyce Echaquan survenu environ deux ans plus tôt.

La publication en novembre 2022 et le décès de Mme Echaquan «ont ouvert nos yeux sur ce à quoi pouvait ressembler le racisme subi dans un contexte de soins. Or, la violence ne se traduit pas toujours par de tels actes évidents de dénigrement. Elle peut être plus subtile, insidieuse», a écrit dans son rapport le groupe de réflexion mis en place par le CMQ sur les interruptions de grossesse et les stérilisations imposées aux femmes des Premières Nations et Inuit au Québec.

Le président du Collège des médecins, Dr Mauril Gaudreault, se souvient très bien de la journée où le rapport de recherche a été publié. «J’avais dénoncé ces situations et j’étais en colère ce matin-là quand j’avais appris de tels drames pour ces femmes», s’est-il rappelé.

«La première réaction, ç’a été: ce n’est pas vrai que ça va continuer à se produire au Québec. On va regarder ça, ce qu’on a fait avec ce groupe de travail», a-t-il poursuivi.

Un préambule au Code déontologique et une formation

Le groupe de réflexion, formé en février 2023, est constitué de deux administratrices du CMQ et de son président, mais aussi d’acteurs œuvrant auprès des communautés autochtones et de la coautrice du rapport, Suzy Basile. «On a fait cela de façon consensuelle, ensemble, pour regagner la confiance de la communauté autochtone envers le système de santé du Québec», a déclaré en entrevue Dr Gaudreault.

«Parce que ce pourquoi les patientes autochtones n’ont pas communiqué cela au Collège, c’est parce qu’elles n’ont pas confiance en nous, reconnaît Dr Gaudreault. Il faut faire partie de la solution et bien humblement je ne pense pas que cela va régler tout, mais c’est un pas en avant.»

Le groupe de réflexion a fait sept recommandations, notamment de rendre obligatoire une formation de base en sécurisation culturelle des soins de santé pour les professionnels des directions des enquêtes et de l’inspection professionnelle du CMQ. Cette formation devrait aussi être promue auprès des médecins, mais elle ne sera pas obligatoire.

Dr Gaudreault n’exclut pas qu’elle devienne obligatoire pour les médecins, mais pour l’instant elle sera optionnelle à l’automne.

Mme Basile estime qu’une formation en sécurisation culturelle serait la bienvenue pour l’ensemble des professions de la santé. Pour les médecins, elle s’est dite confiante «que les choses seront corrigées au besoin» par le Collège.

Le CMQ ajoutera également un préambule au Code de déontologie des médecins pour proscrire toute discrimination basée sur la culture et l’identité.

Au départ, le rapport de recherche recommandait la modification d’un des articles du Code de déontologie. «Ce que le Collège des médecins a préféré faire pour des raisons pragmatiques, c’est de formuler un préambule qui allait colorer l’ensemble des articles du Code de déontologie. À mon sens à moi, c’est encore plus fort et le message adressé aux médecins du Québec par ce moyen dit qu’il faut prendre en considération l’origine des patients et respecter leur droit», a précisé Mme Basile.

Un des principaux problèmes soulevés dans le cadre de sa recherche était que les femmes ont souvent appris des mois ou des années plus tard qu’on leur avait fait une ligature des trompes.

Améliorer la communication

Mme Basile a souligné l’importance de la communication entre les médecins et les patientes autochtones qui sont souvent dans un contexte de langue seconde, voire de troisième langue. Elle a également fait valoir que des préjugés accompagnent souvent les patientes quand elles mettent les pieds dans un établissement du réseau de la santé. «J’ose espérer que le pas vers l’avant que le Collège vient faire ou du moins le message qu’il envoie à ses troupes sera bien entendu», a-t-elle déclaré.

La chercheuse semble avoir espoir que les pistes d’actions amélioreront la situation. «On peut au moins s’assurer que l’attention et l’éducation des médecins d’aujourd’hui et ceux de demain vont faire en sorte que ça ne se reproduise plus jamais et qu’on respecte le choix des patientes», a-t-elle affirmé.

Les pistes d’actions recommandées par le groupe de réflexion pourront être mises en place dès cette année. Elles ne concernent pas seulement les communautés autochtones, mais tous les groupes marginalisés, notamment la clientèle racisée et issue de l’identité de genre.

Par ailleurs, l’équipe de recherche de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue poursuit la phase deux de ses travaux. «Nous avons entendu un bon nombre de nouveaux témoignages de femmes de Premières Nations qui ont subi soit une stérilisation imposée ou des violences obstétricales», a fait savoir Mme Basile. La publication d’un second rapport est prévue cet automne.

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