Une Première Nation veut reprendre le contrôle de ses ressources historiques

Bob Weber, La Presse Canadienne
Une Première Nation veut reprendre le contrôle de ses ressources historiques

Une Première Nation vivant dans la région des sables bitumineux de l’Alberta souhaite avoir un meilleur contrôle sur les traces laissées par leurs ancêtres sur son territoire traditionnel.

«Nous aimerions gérer nos ressources historiques, mentionne Shaun Janvier de la Première Nation Chipewyan Prairie. L’archéologie est directement liée aux Autochtones de la région. Cela nous appartient.»

Les Chipewyan Prairie sont l’une des premières bandes autochtones à élaborer une politique des ressources culturelles afin d’avoir un mot à dire dans la manière dont les lieux et les objets retrouvés sont étudiés, préservés et exposés.

C’est une mesure qui était nécessaire depuis longtemps, souligne Kisha Supernant, directrice de l’Institute of Prairie and Indigenous Archaeology de l’University de l’Alberta.

«Cela fait presque 50 ans que les premières règles ont été établies. Elles n’ont pas vraiment été mises à jour depuis ce temps. Nous sommes arrivés à un stade où elles représentent un obstacle aux droits des Autochtones.»

En Alberta, les entreprises peuvent être obligées à mener une étude historique des lieux avant d’amorcer des travaux. La région des sables bitumineux est considérée comme l’une des plus intéressante d’un point de vue archéologique au Canada.

En 2022, la province a délivré 209 permis de fouilles archéologiques. La plupart l’ont été en vue d’un projet industriel.

Les consultants cherchent des sites potentiels en utilisant des modèles et des expériences passées. Par exemple, une colline ensoleillée près d’un lac ou d’une rivière est un bel endroit pour un ancien campement, un lieu de sacrifice ou un lieu de production d’outils.

Dans certains cas, des consultations sont menées.

Mais il n’existe rien dans les lois obligeant les entreprises à demander aux Premières Nations l’endroit où faire des fouilles. Kisha Supernant craint que certains sites n’aient pas l’objet de fouilles ou soient même détruits à cause de cela.

«Cela a des conséquences», lance-t-elle.

Lorsqu’on trouve quelque chose, une agence gouvernementale doit en prendre possession, en évaluer l’importance, déterminer si des fouilles doivent être entreprises.

Les promoteurs doivent contacter le gouvernement, mais Mme Supernant dit que l’application des règles est si permissive qu’elles sont tout simplement ignorées.

«Il n’existe aucune motivation pour signaler quelque chose, déplore-t-elle. J’ai entendu dire que des membres d’une communauté ou des gens impliqués dans un projet sont parfois encouragés à ne rien dire à personne, car de telles découvertes peuvent entraîner des retards dans la construction.»

Une enquête menée en 2021 par l’Archaeological Survey of Alberta estimait que 8 % des sites potentiels dans les sables bitumineux sont perturbés par des activités qui contreviennent à la législation.

Les entreprises ne sont pas tenues à contacter les Premières Nations en cas de découverte. Certaines le font.

Consulter une bande locale n’est pas requis par la loi. Les entreprises peuvent parfois engager des volontaires locaux pour faire des fouilles, mais ce n’est pas la bonne solution, soutient Ave Dersch, une archéologue qui travaille avec la Première Nation Chipewyan Prairie.

«Les travailleurs locaux n’ont aucune autorité. Ils ne sont que de la main-d’œuvre, a-t-elle expliqué. Ils ont peut-être des connaissances autochtones sur un site et ils peuvent ou non choisir de les partager.»

Et en bout de piste, les objets retrouvés appartiennent de facto à la Couronne. Ils sont envoyés au Royal Alberta Museum, à Edmonton.

«C’est la raison pour laquelle nous devons co-gérer nos ressources historiques, dit M. Janvier. Nous devons être consultés.»

Garrett Koehler, porte-parole du ministère albertain des Arts, de la Culture et du Statut de la femme, mentionne que le gouvernement est en train de revoir comment il gère les découvertes historiques dans la province.

«Le gouvernement de l’Alberta est en train de créer un nouveau cadre pour remettre les objets non sacrés aux communautés autochtones par l’entremise du Royal Alberta Museum, mentionne-t-il dans un courriel. Le gouvernement donne des renseignements sur les fouilles archéologiques. Nous rendons ces rapports disponibles pour les communautés autochtones.»

L’Alberta compte environ 40 000 sites archéologiques. Personne ne s’attend à ce que des fouilles soient entreprises dans l’ensemble de ces endroits. Certaines communautés ne souhaitent peut-être pas une telle activité chez elles.

«J’aimerais observer une plus grande empathie pour éviter les sites. Par exemple, on peut déplacer un pipeline de quelques mètres afin qu’on n’ait pas à faire des fouilles à tout prix», dit Mme Supernant.

M. Janvier raconte que sa Première Nation est en train de décider comment ils veulent participer aux efforts visant à comprendre comment leurs ancêtres vivaient. Elle veut innover pour obtenir un tel contrôle.

Mais ce n’est que le début. Des fouilles menées par la Première Nation au lac Winefred ont permis de découvrir des objets, notamment des poteries datant d’avant l’arrivée des Européens. Cela est en train de changer l’histoire de la région.

«Je suis fier de ces découvertes, lance M. Janvier. Je me sens lié à elles. Je sais que notre histoire est vraie.»

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