Le plafond de GES nécessitera une baisse de la production de pétrole, dit un rapport

Amanda Stephenson, La Presse Canadienne
Le plafond de GES nécessitera une baisse de la production de pétrole, dit un rapport

CALGARY — Les sociétés pétrolières et gazières canadiennes, confrontées à un plafond d’émissions imposé par le gouvernement fédéral, décideront de réduire leur production plutôt que d’investir dans une technologie trop coûteuse de captage et de stockage du carbone, selon un nouveau rapport de Deloitte.

Le rapport commandé par le gouvernement de l’Alberta — dont une copie a été obtenue par La Presse Canadienne — vise à évaluer l’impact économique du plafond proposé.

Ses conclusions contredisent la position du gouvernement fédéral selon laquelle le plafond proposé pour les émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier serait un plafond de pollution et non un plafond de production. Et cela conforte la position de l’Alberta qui soutient qu’un plafond obligatoire entraînerait des réductions de production et de graves conséquences économiques.

Mais le rapport de Deloitte met également en doute l’idée selon laquelle le déploiement généralisé de technologies de captage et de stockage du carbone réduira les émissions du secteur pétrolier et gazier dans les années à venir, suggérant que ce scénario n’est pas logique sur le plan financier.

«Nous prévoyons que le plafond (imposera) 20 mégatonnes de réduction des émissions aux producteurs d’ici 2030, ce qui devra être réalisé par des investissements de CSC (captage et stockage du carbone), ou par une réduction de la production», indique le rapport de Deloitte.

«Réduire la production serait une option plus rentable que d’investir dans le CSC», ajoute le document.

La demande de pétrole augmente à l’échelle mondiale

Le secteur pétrolier et gazier est l’industrie la plus émettrice du Canada, et la hausse de la production des sables bitumineux a entraîné une augmentation des émissions totales du secteur à un moment où de nombreux autres secteurs de l’économie réussissent à réduire leurs émissions globales.

À l’échelle mondiale, la demande de pétrole augmente. L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande mondiale de pétrole sera de 3,2 millions de barils par jour de plus en 2030 qu’en 2023, même si l’agence suggère également que la croissance de l’offre dépassera la croissance de la demande au cours de cette décennie.

Dans un projet de cadre publié en décembre dernier, le gouvernement fédéral a proposé d’imposer un plafond aux émissions de pétrole et de gaz afin de contribuer à ralentir le changement climatique. Les règles obligeraient l’industrie à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 35 à 38 % par rapport aux niveaux de 2019 d’ici 2030. Les entreprises auraient également la possibilité d’acheter des crédits de compensation ou de contribuer à un fonds de décarbonation qui abaisserait cette exigence à seulement 20 à 23 %.

Mais le rapport de Deloitte suggère que la production pétrolière au pays pourrait augmenter de 30 % et celle du gaz de plus de 16 % entre 2021 et 2040. Ces chiffres sont fondés sur les prévisions de la Régie de l’énergie du Canada et sur les politiques gouvernementales actuelles.

Cela signifie que les producteurs auront deux choix pour respecter les contraintes d’un plafond d’émissions, affirme Deloitte. Ils peuvent investir massivement dans le captage et le stockage du carbone – en piégeant les émissions de gaz à effet de serre provenant de la production pétrolière sur les lieux et en les stockant en toute sécurité sous terre – ou réduire les augmentations de production prévues.

Un vaste réseau de captage et de stockage du carbone

L’industrie pétrolière et gazière elle-même promeut le captage et le stockage du carbone comme la clé d’une réduction des émissions combinée à une augmentation de la production. L’industrie des sables bitumineux, qui est responsable de la majeure partie des émissions globales du secteur pétrolier et gazier du Canada, a proposé de dépenser 16,5 milliards $ pour un vaste réseau de captage et de stockage du carbone dans le nord de l’Alberta.

Mais le groupe d’entreprises à l’origine de la proposition, appelé Alliance Nouvelles voies, n’a pas encore pris de décision définitive d’investissement, affirmant qu’une plus grande certitude quant au niveau de soutien gouvernemental et de financement pour le projet est nécessaire.

Dans son rapport, Deloitte conclut que le coût du captage et du stockage du carbone est si élevé que dans de nombreux cas, cela est «économiquement non viable».

Le rapport Deloitte conclut qu’une limite obligatoire sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier entraînerait une diminution de la production, des pertes d’emplois et des investissements, ainsi qu’une baisse «significative» du PIB en Alberta et dans le reste du Canada.

Le secteur des mines, des produits de raffinage et des services publics connaîtra également une diminution de sa production réelle en cas de plafonnement des émissions, explique Deloitte, en raison de sa proximité avec le secteur pétrolier et gazier.

D’ici 2040, selon Deloitte, le PIB de l’Alberta serait inférieur de 4,5 %, et celui du Canada, de 1 %, par rapport à un scénario où aucun plafond d’émission ne serait en place.

Des conclusions «déconcertantes», selon Guilbeault

Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a déclaré mardi aux journalistes à Ottawa que les conclusions sont «déconcertantes» étant donné que le gouvernement n’a même pas encore publié de projet de règlement sur les plafonds d’émission.

«Comment peuvent-ils imaginer de tels scénarios de réduction de la production alors qu’ils n’ont vu qu’une feuille blanche définissant les contours de ce que pourraient être les réglementations?», a-t-il fait valoir.

M. Guilbeault a ajouté que les sociétés pétrolières et gazières elles-mêmes, y compris Alliance Nouvelles voies, se sont engagées à atteindre zéro émission nette d’ici 2050.

«Tout ce que nous faisons avec le plafonnement des émissions de pétrole et de gaz, c’est croire les entreprises sur parole, a-t-il déclaré. Elles ont dit qu’elles voulaient être carboneutres d’ici 2050, et ce que nous faisons avec ces réglementations, c’est de nous assurer que personne n’attendra jusqu’en 2048 pour commencer à mettre en place les mesures nécessaires.»

Mais la ministre de l’Environnement de l’Alberta, Rebecca Shulz, a déclaré que le rapport soutenait ce que la province disait depuis le début.

«Nous devons faire preuve de bon sens. Vous devez prendre les données socio-économiques en perspective lorsque vous envisagez des politiques comme (un plafond d’émissions)», a déclaré Mme Shulz dans une entrevue.

«Je ne pense pas que les Canadiens souhaitent voir notre pays plonger davantage dans un déclin économique», a-t-elle fait valoir.

Mme Shulz a ajouté que l’Alberta reconnaît que les aspects économiques du captage et du stockage du carbone sont difficiles. Elle a affirmé qu’une politique gouvernementale autoritaire qui rend les entreprises moins rentables n’aura pour effet que de décourager les investissements dans la réduction des émissions.

«D’un point de vue politique, la superposition de toutes ces mesures punitives continue de faire disparaître les technologies de réduction des émissions que nous souhaitons réellement voir apparaître ici», a-t-elle soutenu.

Le rapport de Deloitte prédit que l’Alberta aurait 54 000 emplois de moins en 2030 avec un plafond d’émissions par rapport à un scénario où il n’y aurait pas de plafond d’émissions.

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