CALGARY — Le groupe d’entreprises des sables bitumineux Alliance Nouvelles voies a supprimé tout le contenu de son site web et de ses flux de médias sociaux, invoquant l’incertitude concernant une nouvelle règle anti-écoblanchiment sur le point de devenir une loi fédérale, tandis qu’un important groupe de l’industrie pétrolière et gazière a également modifié son site internet.
L’Alliance Nouvelles voies est un consortium regroupant les six plus grandes sociétés d’exploitation de sables bitumineux du Canada, qui, ensemble, se sont publiquement engagées à atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre provenant de la production de sables bitumineux d’ici 2050.
Le consortium a déjà dépensé des millions de dollars dans une campagne de relations publiques à l’échelle nationale visant à démontrer que les sociétés de sables bitumineux sont déterminées à contribuer à la lutte contre le changement climatique.
Mais jeudi, tout ce qui restait sur le site web du groupe est un avis indiquant que l’Alliance Nouvelles voies a supprimé son contenu en raison de préoccupations concernant une disposition du projet de loi fédéral C-59.
«Parce qu’il demeure un certain flou quant à l’interprétation et à l’application de la nouvelle loi, la publication de directives claires par le Bureau de la concurrence nous permettrait de mieux orienter nos communications futures. Dans l’intervalle, nous avons retiré certains contenus de notre site web, de nos médias sociaux et d’autres plateformes publiques», peut-on lire dans une courte déclaration sur le site du consortium.
Le consortium – qui n’a pas encore répondu à une demande d’entrevue – a ajouté qu’il restait engagé dans le travail qu’il accomplit pour réduire les impacts environnementaux de la production des sables bitumineux.
L’Association canadienne des producteurs pétroliers (CAPP) a également déclaré jeudi qu’elle avait «choisi de réduire la quantité d’informations disponibles sur son site web et sur d’autres plateformes numériques».
Le projet de loi omnibus budgétaire C-59, qui a été adopté en troisième lecture au Sénat mercredi et aura bientôt force de loi, contient un amendement sur la vérité dans la publicité qui obligerait les entreprises à fournir des preuves à l’appui de leurs allégations environnementales.
Le libellé du projet de loi stipule que les entreprises ne doivent pas faire de déclarations au public concernant les avantages d’un produit pour la protection de l’environnement ou l’atténuation des effets environnementaux et écologiques du changement climatique, qui ne reposent pas sur une preuve «suffisante et appropriée».
La disposition n’est pas spécifique aux énergies fossiles, mais s’applique à toutes les entreprises et secteurs économiques.
«L’une des choses qui sont vraiment importantes, c’est que dans notre démocratie, les gens fondent leurs positions et leurs décisions sur des faits», a déclaré le premier ministre Justin Trudeau aux journalistes, jeudi, à Westville, en Nouvelle-Écosse, après avoir été questionné sur la décision de l’Alliance Nouvelles voies de supprimer du contenu de son site web.
«La liberté d’expression, la liberté des personnes de partager leurs points de vue, est extrêmement importante. (Mais) il est vraiment important que les organisations qui publient des faits prennent tout le soin d’être véridiques et ancrées dans la réalité.»
Une réaction «révélatrice», disent les médecins pour l’environnement
L’adoption de cette disposition est une victoire pour les groupes environnementaux canadiens, qui ont lancé une campagne à part entière contre l’«écoblanchiment» — un terme donné à la tendance perçue des entreprises à commercialiser leurs pratiques et leurs produits comme étant plus durables qu’ils ne le sont en réalité.
Au cours de la dernière année, des groupes environnementaux canadiens ont déposé au moins quatre plaintes officielles auprès du Bureau fédéral de la concurrence, alléguant de l’écoblanchiment ou de fausses déclarations environnementales de la part d’entreprises de combustibles fossiles ou de banques.
L’Alliance Nouvelles voies fait l’objet de l’une de ces plaintes. Les groupes environnementaux ont déclaré que les publicités du consortium et les affirmations publiques sur la carboneutralité étaient trompeuses, car l’organisation n’a pas encore pris de décision finale d’investissement sur son projet de réseau de captage et de stockage du carbone de 16,5 milliards $.
Leah Temper, directrice de programme à l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, a déclaré jeudi qu’elle était «ravie et surprise» de voir l’industrie des sables bitumineux réagir si fortement à l’adoption du projet de loi C-59.
«Il s’agit essentiellement d’une disposition très modeste de la Loi sur la concurrence. Elle exige simplement que les entreprises disent la vérité et disposent d’une base de preuves pour étayer leurs affirmations, a fait valoir Mme Temper. Je pense donc que cette réaction est très révélatrice.»
Greenpeace Canada a soutenu jeudi que les entreprises canadiennes qui ont des engagements en matière de climat n’ont pas à s’inquiéter des changements apportés au projet de loi C-59.
«De toute évidence les compagnies de sables bitumineux ont réalisé qu’elles ne peuvent plus continuer leur bluff et leur écoblanchiment qui vont à l’encontre de la loi», a affirmé Nola Poirier, chercheuse principale et rédactrice à Greenpeace Canada, dans une déclaration écrite.
Des «risques importants» pour les entreprises
Dans un communiqué, l’Association canadienne des producteurs pétroliers a déclaré que la disposition anti-écoblanchiment aurait pour effet de réduire au silence l’industrie énergétique et de restreindre la capacité des Canadiens à participer aux débats sur la politique climatique et environnementale.
«La disposition sur le fardeau de la preuve incluse dans les modifications signifie que les personnes qui déposent la plainte ne courent aucun risque ni responsabilité. Au contraire, le fardeau incombe entièrement aux entreprises», a soutenu Lisa Baiton, présidente et cheffe de la direction de l’ACPP.
«Les entreprises de partout au Canada courent des risques importants lorsqu’elles communiquent sur leurs efforts visant à réduire leur impact sur l’environnement», a-t-elle ajouté.
Mais selon Mme Temper, il est devenu de plus en plus courant que les entreprises de tous les secteurs fassent des allégations environnementales douteuses dans leur publicité.
«C’était le Far West. Les entreprises ont pu faire presque toutes les affirmations qu’elles voulaient, en utilisant des termes comme carboneutre, sans aucune base de preuve fiable, a affirmé Mme Temper. J’espère que cela (C-59) représentera un changement radical.»
La ministre de l’Environnement de l’Alberta, Rebecca Shulz, a qualifié cette disposition de «bâillon antidémocratique» qui crée une incertitude inutile pour les entreprises.
Le débat sur les allégations environnementales dans la publicité s’intensifie dans le monde entier. Plus tôt ce mois-ci, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a exhorté les pays à interdire la publicité des entreprises de combustibles fossiles face à la crise climatique.