Autrefois trop froid pour les marsupiaux, Montréal est un havre pour les opossums

Maura Forrest, La Presse Canadienne
Autrefois trop froid pour les marsupiaux, Montréal est un havre pour les opossums

MONTREAL — Un soir, l’automne dernier, Robert Carrière rangeait quelques outils de jardinage lorsqu’il a aperçu quelque chose sortir de sous le cabanon.

Au début, il a cru que c’était un gros rat. Puis, il a pensé qu’il s’agissait peut-être d’un rat musqué.

La petite bête était un opossum. Il traînait près d’un jardin collectif dans un collège du nord-est de Montréal, et M. Carrière, bénévole au jardin, n’était pas le seul à en avoir vu un cet automne. À la fin octobre, un agent de sécurité du campus a réussi à prendre une photo de ce qui est sans aucun doute un opossum: visage blanc, fourrure brune et longue queue nue.

«Je me suis dit: ‘’Wow. C’est venu de loin».»

Cet épisode fait partie d’un nombre restreint, mais croissant, d’observations d’opossums sur l’île de Montréal, qui jusqu’à récemment était trop froide pour accueillir le seul marsupial d’Amérique du Nord.

De nombreux Montréalais, et même certains biologistes, ignorent que les opossums vivent déjà parmi eux. Les scientifiques pensent que ces animaux finiront par devenir une créature assez courante sur l’île – voire aussi abondante que les écureuils ou les ratons laveurs.

Stéphane Lamoureux, biologiste au ministère de l’Environnement du Québec, reçoit des rapports sporadiques de présence d’opossums à Montréal depuis une décennie et observe que le nombre d’appels à ce sujet est à la hausse. Il en a reçu environ une douzaine jusqu’à présent cette année.

«Il s’agit certainement d’une nouvelle espèce et les gens ne sont pas habitués à les voir, a-t-il témoigné. Les gens se posent donc souvent beaucoup de questions à ce sujet.»

Un avantage plus qu’une nuisance

Comme les kangourous et les koalas, les opossums sont des marsupiaux qui élèvent leurs petits dans leur poche. Les mères peuvent avoir plus de 20 bébés à la fois, même si beaucoup d’entre eux ne survivront pas. Ceux qui le font peuvent être vus accrochés au dos de leur mère pendant qu’elle cherche de la nourriture. Ces animaux sont principalement nocturnes et sont d’habiles charognards en milieu urbain, se cachant souvent sous des hangars ou utilisant d’anciens terriers de marmottes comme abri.

Ce ne sont peut-être pas les mammifères les plus photogéniques, mais les scientifiques affirment que les gens n’ont pas grand-chose à craindre des opossums. Ils montreront les dents et siffleront s’ils sont confrontés, mais si l’on se sent vraiment menacé, il s’effondrera souvent sur le côté, inconscient, et feindra la mort – en d’autres termes, jouera à l’opossum.

«Je ne les considérerais pas comme une espèce agressive à moins que vous n’essayiez d’en attraper une», a déclaré Sheldon Owen, spécialiste de la faune à l’Université de Virginie occidentale.

Il a expliqué que dans sa région, les gens sont habitués à voir des opossums dans les cours et au bord des routes, et qu’ils sont généralement vus sous un jour positif. Ils mangent des tomates et finissent parfois dans les poubelles ou dans les poulaillers, mais ils nettoient également les animaux tués sur la route.

«Ils représentent en fait un avantage pour l’ensemble du paysage ici en Virginie occidentale», a indiqué le spécialiste.

Une présence peu remarquée

Ces dernières années, des opossums ont été observés à travers la métropole. Karine Huard, résidente de Montréal, a vu une famille de trois ou quatre opossums l’an dernier dans l’arrondissement LaSalle, dans le sud-ouest de la ville. Plus tôt ce mois-ci, Jean-Sébastien Côté en a vu un devant la porte d’entrée de quelqu’un, à proximité de Côte-St-Paul.

En 2021, un employé de longue date de la SPCA de Montréal a reçu son premier appel en 42 ans de service pour sauver un opossum coincé dans une rue achalandée près du centre-ville. Le groupe a nommé l’animal Blaise et l’a déposé dans un refuge faunique.

Pourtant, beaucoup de gens n’ont aucune idée de la présence d’opossums dans la ville. Renée Lemieux, conseillère en environnement au Collège Marie-Victorin qui a finalement identifié l’animal que M. Carrière pensait être un rat géant, raconte que tout le monde était «étonné» lorsqu’ils ont découvert de quoi il s’agissait réellement.

«Je pensais que c’était absolument génial, a-t-elle déclaré. Avant de m’y intéresser, je ne savais pas qu’on pouvait en voir sur l’île de Montréal.»

Un territoire étendu grâce aux changements climatiques

Les opossums se trouvent dans l’est des États-Unis et en Amérique centrale. Mais historiquement, la limite nord de leur aire de répartition traversait à peine la frontière du sud du Québec, a déclaré David Rodrigue, directeur général du Zoo Ecomuseum de l’Ouest-de-l’Île de Montréal.

Avec leurs oreilles et leur queue glabres, les opossums sont particulièrement sujets aux engelures. Ils n’hibernent pas, donc un hiver froid peut anéantir tous les animaux qui s’aventurent trop au nord.

Mais les changements climatiques étendent leur territoire. Des opossums sont observés à Toronto depuis au moins les dernières décennies. Le regretté Rob Ford, après son mandat de maire de Toronto, a un jour dit au conseil municipal de faire attention aux «animaux vicieux».

Le temps plus doux a également amené les créatures plus profondément au Québec, a évoqué M. Rodrigue, et on les voit maintenant souvent sur la Rive-Sud, juste de l’autre côté du fleuve Saint-Laurent depuis Montréal. «S’il continue à se réchauffer ou à rester plus chaud, il y a de fortes chances qu’ils s’établissent beaucoup plus», a-t-il prévenu.

David Rodrigue n’avait pas entendu parler d’opossums vus sur l’île et s’est immédiatement demandé comment ils avaient traversé la rivière – que ce soit sur la glace avant la fonte printanière ou sur l’un des ponts menant à Montréal.

C’est vraiment intéressant qu’ils soient arrivés sur l’île sans y avoir été amenés», a-t-il relevé.

M. Lamoureux ne pense pas que les opossums de la ville rivaliseront un jour avec sa population de ratons laveurs, un autre charognard adaptable bien connu de tous les Montréalais. Mais il pense qu’ils sont là pour rester. «Je pense que cela va devenir une espèce que nous aurons l’occasion de voir en milieu urbain», a-t-il avancé, comparant les opossums aux marmottes ou aux mouffettes. Ils cohabitent bien avec les gens.»

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