Le juge du procès pour meurtre évalue les motivations du tueur en série de Winnipeg

Brittany Hobson, La Presse Canadienne
Le juge du procès pour meurtre évalue les motivations du tueur en série de Winnipeg

WINNIPEG — Un juge devrait décider cette semaine si l’homme qui a admis avoir tué quatre femmes autochtones à Winnipeg l’a fait parce qu’il était en proie à un épisode psychotique ou parce qu’il était animé par une forme rare d’intérêt sexuel pervers.

Cette affaire tragique, qui remonte à 2022, a renouvelé les appels lancés aux gouvernements et aux organisations pour qu’ils s’attaquent au phénomène persistant des femmes autochtones disparues ou assassinées.

Des manifestations ont également eu lieu dans tout le pays pour demander que les restes de deux des victimes soient recherchés dans une décharge. Les recherches devraient commencer à l’automne.

Le juge doit rendre son verdict jeudi dans le procès pour meurtre au premier degré dont fait l’objet Jeremy Skibicki.

M. Skibicki a admis avoir tué Morgan Harris, 39 ans, Marcedes Myran, 26 ans, Rebecca Contois, 24 ans, et une femme non identifiée qu’une communauté autochtone a appelée Mashkode Bizhiki’ikwe, ou femme-buffle.

Les avocats de la défense ont fait valoir que M. Skibicki, âgé de 37 ans, devrait être déclaré non pénalement responsable pour cause de maladie mentale. Un psychiatre judiciaire de la défense a témoigné que M. Skibicki souffrait de schizophrénie au moment des meurtres.

Un tueur nécrophile?

Mais la Couronne soutient que M. Skibicki a tué les femmes parce qu’il est un nécrophile homicide et qu’il savait que ce qu’il faisait était mal.

La nécrophilie homicide n’est pas bien comprise ou documentée, affirment certains criminologues. Il s’agit d’une paraphilie peu courante où les individus sont excités par le fait d’avoir des relations sexuelles avec une personne qu’ils ont tuée.

Eric Beauregard, professeur de criminologie à l’Université Simon Fraser, indique qu’il existe quelques études sur la nécrophilie homicide, mais qu’elle n’a pas fait l’objet de recherches approfondies.

«Nous parlons de quelque chose de très grave et de très rare», précise le chercheur.

L’un des cas les plus connus est celui du tueur en série et délinquant sexuel américain Jeffrey Dahmer. Certains de ses meurtres impliquaient des actes de nécrophilie.

Selon Michael Arntfield, criminologue et professeur à l’Université Western, les cas de cette nature au Canada se comptent sur les doigts des deux mains.

M. Beauregard a étudié les comportements nécrophiles dans les homicides sexuels. Ces comportements sont souvent le fait de tueurs en série.

«Le comportement doit être récurrent et intense. Ce n’est pas quelque chose que quelqu’un a vécu une fois et que l’on diagnostique ensuite», souligne M. Beauregard.

Les causes ne sont pas claires. «C’est la question à un million de dollars que les profileurs criminels, les psychologues criminels, les psychiatres et les enquêteurs de police ont essayé de résoudre», ajoute M. Arntfield.

La recherche suggère que les auteurs de ces crimes ont vécu un événement traumatisant pendant leur enfance.

La schizophrénie en cause

Lors du procès de M. Skibicki, on a appris qu’il avait des antécédents de maladie mentale, notamment de dépression, de trouble de la personnalité limite et de pensées suicidaires. Mais aucun diagnostic de schizophrénie n’a été posé par un psychiatre au cours de ses années de traitement.

Le Dr Sohom Das, psychiatre judiciaire du Royaume-Uni, a évalué M. Skibicki après les meurtres et a témoigné pour la défense. Il a déclaré qu’il pensait que les délires et les symptômes psychotiques causés par la schizophrénie avaient directement motivé les meurtres.

M. Das a déclaré que M. Skibicki lui avait dit qu’il s’était senti obligé de tuer les femmes parce qu’il avait reçu une mission de Dieu et qu’il avait eu des hallucinations auditives l’incitant à tuer.

Les procureurs ont soutenu le contraire, présentant de l’ADN, des images de vidéosurveillance et des témoignages montrant que M. Skibicki avait les capacités mentales et la conscience nécessaires pour commettre et dissimuler les meurtres.

Ils ont également affirmé que M. Skibicki avait ciblé les femmes parce qu’elles étaient autochtones.

Dans des aveux spontanés, M. Skibicki a déclaré à la police que les meurtres étaient motivés par des considérations raciales et qu’il avait des convictions suprémacistes.

Les procureurs ont déclaré que M. Skibicki s’en prenait aux victimes dans les refuges pour sans-abri. Il les agressait, les étranglait ou les noyait avant de commettre des «actes sexuels ignobles» sur leur corps.

Le procès a appris qu’il se débarrassait des corps dans les poubelles de son quartier. Mme Myran et Mme Contois ont été démembrées.

Des antécédents troublants

Le Dr Gary Chaimowitz, psychiatre judiciaire nommé par la Couronne, a déclaré que M. Skibicki était probablement un nécrophile homicide et qu’il avait été poussé à tuer les femmes en raison de son intérêt sexuel pour les personnes décédées.

M. Chaimowitz a affirmé à la cour que Skibicki avait des antécédents de nécrophilie qui remontaient au début de son adolescence. M. Chaimowitz a déclaré que M. Skibicki lui avait dit qu’il avait été excité par des personnes qui jouaient aux morts ou qui étaient mortes.

Le procès a également appris que M. Skibicki avait agressé sexuellement son ex-femme pendant qu’elle dormait. Cette dernière a déclaré que M. Skibicki avait un fétichisme pour les corps sans vie et qu’il lui avait montré de la pornographie violente et lui avait proposé de la reproduire.

Les recherches suggèrent qu’il existe neuf types de nécrophilie. Le premier implique un élément de jeu de rôle qui s’intensifie.

«Les gens deviennent de plus en plus aventureux et prennent de plus en plus de risques», décrit M. Arntfield.

«Une fois que l’on a atteint ce niveau de dépravation, il est très difficile de le contrôler. Il n’y a pas de substitut anodin à ce que vous faites pour vous satisfaire».

Cependant, les cas de paraphilies en eux-mêmes ne nécessitent pas de traitement psychiatrique, rapporte M. Arntfield.

«La nécrophilie en elle-même ne rend pas criminellement fou, faute d’un meilleur mot (…) ces personnes sont parfaitement capables de fonctionner».

M. Beauregard a déclaré que la prévalence réelle de la nécrophilie est inconnue, étant donné que les enquêteurs ne sont pas toujours familiers avec ce comportement.

«Il est parfois très facile de ne pas voir la dynamique sexuelle qui s’est manifestée dans l’homicide. C’est pourquoi beaucoup de ces affaires ne sont pas signalées comme étant de nature sexuelle, alors qu’elles le sont en réalité», croit M. Beauregard.

Selon M. Arntfield, la police devrait suivre une formation plus poussée afin de pouvoir reconnaître et classer les comportements associés à la paraphilie et la nécrophilie.

Le gouvernement fédéral a mis en place une ligne d’assistance téléphonique pour les personnes concernées par l’enjeu des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées : 1-844-413-6649. La ligne d’assistance Hope for Wellness, qui offre un soutien en cri, en ojibwé et en inuktitut, est également à la disposition de tous les peuples autochtones du Canada : 1-855-242-3310.

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