Des médecins ont présenté des symptômes de stress post-traumatique durant la pandémie

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Des médecins ont présenté des symptômes de stress post-traumatique durant la pandémie

MONTRÉAL — Près d’un médecin sur cinq a présenté des symptômes de trouble du stress post-traumatique pendant la pandémie de COVID-19, révèle une nouvelle méta-analyse pilotée par un médecin de l’Université d’Ottawa.

L’enquête a mesuré une prévalence de TSPT de 18,3 % parmi les médecins de 25 pays pendant la pandémie, ce qui est trois fois plus élevé que la prévalence au sein de la population en général; cela est aussi plus élevé que la prévalence qui était généralement rapportée parmi les médecins avant la pandémie.

Les femmes, les médecins plus âgés, les résidents et les médecins pratiquant certaines spécialités étaient plus susceptibles que les autres de présenter des symptômes de trouble du stress post-traumatique.

«C’était une tempête parfaite», a dit le docteur Manish Sood.

Les médecins qui se sont retrouvés au front pendant la pandémie, a-t-il rappelé, se sont inquiétés pour leur propre santé et pour celle de leurs proches en présence d’un virus dont on ne savait pas grand-chose au début. Certains ont même choisi de s’isoler de leurs familles ― par exemple, en se réfugiant à l’hôtel pendant plusieurs semaines ― pour ne pas les mettre en danger.

Les médecins peuvent avoir été confrontés à des patients qui tombaient comme des mouches malgré leurs meilleurs efforts, ou encore à des scènes dignes d’une zone de guerre: un patient qu’ils luttent de toutes leurs forces pour maintenir en vie pendant que sa famille hurle et pleure dans un coin.

«Ce n’est peut-être pas la même chose qu’une bombe qui explose et qui fait perdre un membre, mais le sentiment de perte, le sentiment de peur, le sentiment d’atteinte à soi-même se produisent tous à ce moment-là», a dit le docteur Sood.

On peut également leur avoir demandé de faire des choix difficiles. Si on manque de lits ou de ventilateurs, docteur, à qui doit-on en donner un?

Et tout ça dans un contexte de grande incertitude, face à un ennemi dont on ne savait presque rien à l’époque et qu’ils n’étaient pas vraiment outillés pour affronter.

«Le public ne voit pas ce qui se passe derrière le rideau dans la salle d’examen», a dit le docteur Sood, un néphrologue qui est titulaire de la Chaire de recherche sur la santé et le bien-être des médecins à l’Université d’Ottawa.

«Face à un patient blessé par une bombe, on sait quoi faire, on a une formation. Mais face à la COVID, on ne savait absolument pas quoi faire au début. Il n’y avait pas de traitements. Et les premières informations qui sont sorties de Chine faisaient état d’un taux de mortalité très élevé. Puis les médias ont commencé à nous dire que ça allait être une catastrophe…»

Femmes plus vulnérables

Le docteur Sood et ses collègues ont examiné 57 études réalisées dans 25 pays et regroupant presque 30 000 participants.

La plus grande vulnérabilité des femmes médecins au TSPT correspond à ce que l’on constate dans la population en générale, où les femmes sont deux fois plus susceptibles que les hommes d’en être victimes. Les auteurs de la méta-analyse s’expliquent mal cet écart, mais ils font remarquer que la pandémie peut avoir privé les femmes du réseau social sur lequel elles s’appuient normalement et que la crise sanitaire peut avoir accentué leur traditionnel rôle d’aidante auprès de leurs proches.

Les chercheurs ont mesuré davantage de TSPT aux deux extrêmes d’une carrière médicale, autant parmi les résidents que parmi les médecins plus âgés. Dans le premier cas, le manque d’expérience et les conditions de travail des résidents y sont probablement pour quelque chose.

«Les personnes plus âgées étaient, en général, les plus susceptibles d’avoir des complications en raison de la COVID, a rappelé le docteur Sood. Et les médecins plus âgés étaient aussi plus susceptibles d’avoir à la maison un proche âgé comme eux. Donc tout ça tombe sous le sens.»

Les urgentologues, les anesthésistes, les intensivistes et les médecins de famille étaient plus susceptibles que les autres de présenter des symptômes de trouble du stress post-traumatique.

Les anesthésistes, a cité en exemple le docteur Sood, étaient ceux à qui on demandait de venir ouvrir les voies respiratoires d’un patient qui était presque littéralement en train de se noyer dans ses sécrétions. Les médecins de famille, quant à eux, n’ont pas rencontré les patients critiquement malades, mais ceux qui l’étaient chroniquement sont débarqués en trombes dans leur bureau quand les hôpitaux ont commencé à déborder.

«Ils ont eu tout un fardeau à supporter parce qu’à ce moment-là les hôpitaux acceptaient seulement les patients les plus malades», a rappelé le docteur Sood.

La prévalence de TSPT s’est maintenue au fil du temps, que ce soit entre 2020 et 2021, entre 2021 et 2022, ou même entre 2022 et aujourd’hui. Cela est possiblement attribuable au fait que les symptômes de TSPT peuvent mettre plusieurs mois à émerger, a dit le docteur Sood. On peut aussi supposer que certains médecins ont attendu longtemps avant d’aller chercher de l’aide.

On peut enfin penser que la prévalence de 18 % qui a été mesurée n’est que la pointe de l’iceberg puisqu’il y a encore une grande culture du silence au sein de la profession médicale, a-t-il ajouté, même si la situation commence à s’améliorer, possiblement parce qu’on retrouve de plus en plus de femmes parmi les médecins et parce qu’on discute plus librement des enjeux de santé mentale dans la société.

Il est presque inévitable que le monde sera un jour confronté à une nouvelle pandémie, a prévenu le docteur Sood. À ce moment, a-t-il dit, il sera important d’accompagner les médecins pour protéger leur santé mentale et de se souvenir que chaque médecin qui n’est plus disponible laisse un millier de patients derrière lui.

«Quand il y a une fusillade dans une école, on envoie des conseillers en traumatisme sur place, a-t-il indiqué en conclusion. On devrait faire la même chose pour les soignants de première ligne. On devrait leur permettre de parler à des psychologues ou à des groupes de soutien en temps réel pour amortir le choc et les aider. Une société en santé a besoin de médecins en santé.»

Les conclusions de cette étude ont été publiées par le journal médical JAMA Network Open.

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