Intervention chirurgicale cardiaque sans précédent au CHUM pour sauver une patiente

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Intervention chirurgicale cardiaque sans précédent au CHUM pour sauver une patiente

MONTRÉAL — Une équipe du Centre hospitalier de l’Université de Montréal a procédé en juin à une intervention chirurgicale aortique sans précédent pour sauver une patiente âgée pour qui les options traditionnelles n’étaient plus envisageables.

Au cours d’une intervention de huit heures, le chirurgien vasculaire Philippe Charbonneau et ses collègues ont installé dans le cœur de leur patiente une endoprothèse afin de neutraliser un anévrisme qui menaçait de rompre.

Cette endoprothèse avait toutefois dû être modifiée pour accommoder une particularité anatomique de la patiente. Elle a aussi dû été installée par un accès artériel au niveau de l’aine, puisque les chirurgies antérieures de la patiente rendaient une ouverture du thorax peu viable.

«On était dans une situation anatomique exceptionnelle qui demandait un traitement exceptionnel», a résumé le docteur Charbonneau.

L’anévrisme de la patiente s’était formé, au fil des ans, au niveau de la crosse aortique, un gigantesque vaisseau sanguin qui fait faire à l’aorte une sorte de «virage en U» dans la partie supérieure du cœur. Au lieu des trois vaisseaux sanguins qui sortent de la crosse chez la plupart des êtres humains, cette patiente en comptait plutôt quatre.

Le problème a été découvert uniquement parce que la patiente était déjà suivie pour différents problèmes cardiaques. Et quand elle est référée au docteur Charbonneau pour une intervention, l’anévrisme a déjà atteint une taille considérable.

Il était impensable de simplement observer l’anévrisme en espérant pour le mieux, a dit le docteur Charbonneau, puisque le risque de rupture augmentait de 20 % ou 30 % par année.

Face à ce genre de situation, a expliqué le spécialiste, l’intervention classique consiste à aller réparer l’aorte en procédant à une chirurgie ouverte, en ouvrant le sternum ou le thorax du patient d’une manière quelconque.

«Dans le contexte de cette patiente, a dit le docteur Charbonneau, il y aurait eu des risques d’AVC, des risques de paralysie, des risques de complications cardiaques assez élevées… Il aurait aussi probablement fallu une longue hospitalisation et ça aurait pu prendre plusieurs mois avant que la patiente ne revienne à son état de base.»

Qui plus est, la patiente avait déjà subi deux interventions chirurgicales au niveau du thorax et une au niveau du sternum. Si l’équipe avait décidé de réopérer aux mêmes endroits, elle aurait été confrontée à ce que le docteur Charbonneau appelle un «endroit hostile» en raison des tissus cicatriciels et autres obstacles qui s’étaient formés depuis les chirurgies précédentes, ce qui aurait augmenté les risques encore un peu plus.

Et l’évaluation multidisciplinaire de l’équipe en était venue à la conclusion que les poumons de la patiente n’étaient pas suffisamment en santé pour affronter une chirurgie ouverte, ajoute le docteur Charbonneau. Il a donc fallu trouver une autre solution.

«On a réussi à faire la procédure par de petites entrées de seulement quelques millimètres dans la peau, a-t-il dit. C’est vraiment une première.»

Mais la prothèse qui est normalement utilisée pour régler un problème comme celui-ci ne convenait pas, puisque la compagnie qui la fabrique n’a rien à proposer aux patients dont l’anatomie de la crosse aortique compte quatre vaisseaux plutôt que trois. L’équipe du CHUM a donc dû y percer, avec un laser, une quatrième fenêtre pour accommoder l’anatomie particulière de leur patiente.

Tout est à faire… ou presque

Tout était à faire, ou presque, puisque l’équipe montréalaise était la toute première à s’attaquer à pareil défi. Les chercheurs ne partaient toutefois pas exactement de zéro et pouvaient compter sur des appuis de taille.

«On utilise un peu du meilleur de ce qu’on a vu, de ceux qu’on a rencontrés, de ce qu’on a vu en congrès, de ce qu’on a discuté, a dit le docteur Charbonneau. J’ai été formé en France, aux Pays-Bas et en Allemagne, et ça m’a permis de tisser des liens avec des experts mondiaux. Et c’est souvent en communiquant de manière collégiale qu’on réussit à trouver des techniques.»

Le docteur Charbonneau ne tarit pas d’éloges pour l’équipe qui l’a accompagné dans cette aventure, du personnel infirmier jusqu’à ce collaborateur qui a fait l’aller-retour entre Montréal et Ottawa la veille de la chirurgie pour aller chercher un cathéter dont on n’aurait peut-être même pas besoin, mais qu’on voulait avoir sous la main… au cas où.

«Il y a des gens très, très investis qui nous permettent de faire ces procédures-là avec le moins de risques possible pour la patiente et pour avoir la meilleure expérience pour la patiente», a-t-il dit.

La solution a été proposée à la patiente qui a ensuite pu profiter de quelques jours pour y penser, le temps que l’équipe finisse de boucler les derniers détails.

Dans une telle situation, a rappelé le docteur Charbonneau, quand une patiente s’apprête à subir une intervention chirurgicale sans précédent, la notion de «consentement éclairé» prend toute son importance.

«On lui dit qu’on a déjà une certaine expérience dans ce domaine, mais que c’est la première fois dans le monde qu’on combine toutes ces expériences et ces outils pour faire quelque chose de sur mesure pour vous, madame, a-t-il expliqué. On lui dit en toute honnêteté que ça n’a jamais été fait et qu’on va le faire avec le plus grand sérieux et qu’on va se donner à fond. Je suis vraiment transparent avec les patients, tous les risques sont bien expliqués (…) parce qu’il n’y a rien de pire qu’une mauvaise surprise.»

En bout de compte, la patiente a accepté «avec enthousiasme» parce que l’idée de devoir se soumettre à de nouvelles interventions au thorax, avec tout ce que cela implique, ne l’enchantait pas vraiment.

La chirurgie s’est déroulée sans le moindre problème, a dit le docteur Charbonneau, «et c’est la preuve que nous étions prêts». La patiente a pu rentrer chez elle cinq jours après l’intervention et elle se porte très bien plus d’un mois après son intervention.

«La première chose qui nous réjouit, a conclu le docteur Charbonneau, c’est de ne pas subir de défaite. Il n’y a rien de pire pour moi que d’avoir une complication majeure, que d’avoir proposé un plan de traitement à un patient et que ça ne tourne pas dans la bonne direction. Juste de ne pas avoir à subir ça comme chirurgien, c’est mon salaire. Je suis content de voir que l’équipe est fière d’avoir participé à une grande intervention (…) et ça nous donne le goût de continuer à repousser les limites.»

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