Quand la phonétique et l’acoustique aident à résoudre des enquêtes

Alexis Drapeau-Bordage, La Presse Canadienne
Quand la phonétique et l’acoustique aident à résoudre des enquêtes

MONTRÉAL — Partir d’un enregistrement audio pour dresser le portrait de suspects potentiels. Voilà un des défis que doivent relever certains linguistes dont le rôle est d’appuyer les forces de l’ordre dans leur enquête.

Le principe est «de partir d’une voix dans l’univers, puis de raffiner le champ des possibles pour déterminer de qui il s’agit, ou au moins établir un profil pour le locuteur», explique Julien Plante-Hébert, chercheur à l’UQAM et coorganisateur du congrès annuel de l’International Assocation for Forensic Phonetics and Acoustics (IAFPA), qui se tiendra à Montréal du 28 au 31 juillet.

Il donne pour exemple ce qu’il définit comme un cas classique: «On a un appel à la bombe et tout ce qu’on a, c’est l’appel, est-ce qu’on peut déterminer de qui il s’agit?»

Pour ce faire, il faut établir un portrait phonétique de locuteur. La professeur Gea de Jong-Lendle, de l’Université de Marbourg, se spécialise en ce domaine et donnera un atelier à ce sujet lors du congrès.

Dans un document partagé par courriel, la chercheuse explique que les différences d’accents, de dialectes, de rythme et d’autres facteurs peuvent aider à déterminer l’origine, l’âge, le genre et le groupe social d’un individu.

M. Plante-Hébert donne pour exemple la différence de prononciation du mot poteau entre la région de Québec et celle de Montréal comme un des facteurs qui peuvent être utilisés.

«Peut-être un peu moins maintenant, ajoute-t-il, mais jadis, dans les quartiers on pouvait dire par exemple que cette personne vient de Centre-Sud, car elle parle de cette façon-là. Maintenant, il y a de plus grands déplacements entre les quartiers donc c’est peut-être moins vrai».

Une autre tâche à laquelle les experts en phonétique et acoustique légale sont souvent appelés, c’est de confirmer l’identité d’un suspect dans un enregistrement audio.

Anil Alexander, le fondateur de l’entreprise Oxford Wave, spécialisée en ce domaine, explique qu’il y a trois méthodes principales pour y arriver.

Le linguiste peut d’abord se baser sur son écoute, analysant le dialecte, les défauts de langue, les tics linguistiques, etc.

Il peut aussi mesurer la voix afin d’avoir des données brutes sur la fréquence, le formant et les autres caractéristiques de celle-ci.

Enfin, il peut être assisté de logiciels qui établissent des rapports de vraisemblances par rapport aux voix analysées.

Une première canadienne

Cette 32e édition du rassemblement sera la troisième à se tenir sur le sol nord-américain. Après Orlando en 1995 et Tampa Bay en 2013, c’est au tour du Cœur de Sciences de l’UQAM d’en être l’hôte.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) dispose d’un groupe d’analyse des enregistrements sonores et vidéo. Colleen Driscoll, qui y œuvre depuis 2012, coorganise l’événement.

En 2023, l’Université de York en Ontario a accueilli un premier congrès canadien sur la langue et la loi. Celui-ci combinait des chercheurs en phonétique légale, mais aussi d’autres linguistes juridiques, un champ d’études plus développé.

Au Québec, la phonétique légale est encore assez marginale. M. Plante-Hébert pense être le seul dans ce domaine spécialisé de par ses études. Il explique que généralement, quand les juristes ont recours à de la phonétique légale, ils appellent simplement «le premier phonéticien» qu’ils trouvent.

«C’est des expertises qui peuvent être très fiables, mais qui proviennent de personnes qui ne sont pas formées dans le domaine», explique M. Plante-Hébert, notant que ces chercheurs ne sont pas toujours formés sur les différentes manières de procéder sur le plan juridique ou des risques associés à certaines façons de faire.

Des démarches sont en cours afin de mettre en œuvre un groupe de recherche interuniversitaire de linguistique légale au Québec. En amenant le congrès de l’IAFPA à Montréal, Julien Plante-Hébert espère stimuler la recherche ici et renforcer les liens entre les chercheurs canadiens et les différents acteurs internationaux.

Les défis de l’intelligence artificielle

Selon M. Alexander, l’expansion massive des intelligences artificielles et leur capacité à imiter des voix représentent «un danger clair et réel pour la société entière».

Il travaille sur des logiciels capables de détecter les faux enregistrements, et espère attirer l’attention du public et des gouvernements sur ces risques.

Le chercheur présentera un atelier pendant le congrès avec des extraits audio tirés d’intelligences artificielles, pour aider les auditeurs à mieux comprendre de quoi cette technologie est capable aujourd’hui.

S’en suivra un panel animé par des chercheurs, des organismes et des membres des forces de l’ordre afin de partager leurs points de vue sur la question.

«[La génération de voix] est le grand défi auquel nous faisons face, particulièrement en cette année d’élections à travers le monde», conclut-il.

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