Les municipalités du Québec utilisent l’IA pour observer leur territoire

Maura Forrest, La Presse Canadienne
Les municipalités du Québec utilisent l’IA pour observer leur territoire

MONTRÉAL — Les municipalités de la région de la Capitale-Nationale ont récemment commencé à utiliser l’intelligence artificielle (IA) pour tout suivre, du couvert forestier à la circulation automobile, en passant par les piscines.

La Communauté métropolitaine de Québec, qui regroupe la ville de Québec et sa banlieue, affirme que ce projet inédit aidera les municipalités membres à atteindre leurs cibles environnementales, à évaluer la disponibilité du stationnement et à surveiller le développement urbain.

Mais à mesure que de plus en plus de villes canadiennes adoptent des outils d’IA, les experts préviennent qu’elles doivent réfléchir attentivement à la manière dont elles utilisent la technologie et à la pleine adhésion du public.

Frédérick Lafrance, responsable du développement en géomatique chez CMQuébec, a déclaré que l’organisation a formé un modèle d’apprentissage profond sur des photos aériennes haute définition de la ville de Québec et de la région environnante prises en 2021.

Le modèle d’IA peut repérer et mettre en évidence plusieurs caractéristiques différentes, notamment des bâtiments, arbres, véhicules, piscines, trampolines de jardin et cage à écureuils.

«La performance est équivalente ou très similaire à celle d’un humain, explique -t-il en entrevue. Sauf que la rapidité d’exécution est bien plus grande, ce qui nous permet de faire beaucoup de travail en très peu de temps.»

Les données peuvent être utilisées de différentes manières. M. Lafrance raconte que la ville de Québec et de nombreuses municipalités environnantes ont des objectifs en matière de verdissement urbain et de couverture arborée, et que l’intelligence artificielle est un outil naturel pour mesurer les progrès. À l’inverse, elle peut également mesurer la quantité d’espaces verts convertie en asphalte au fil du temps.

Les municipalités pourraient également utiliser les images pour voir s’il y a suffisamment de places de stationnement dans différentes zones, ajoute-t-il. Et le suivi des piscines de jardin pourrait aider les Villes à décider où envoyer des inspecteurs.

«Ces informations sont difficiles à obtenir, car elles nécessitent beaucoup de travail manuel, soulève-t-il. Nous proposons donc un service qui leur montre où se trouvent les piscines, et elles peuvent l’utiliser pour effectuer un suivi.»

Une nouvelle série de photos aériennes est prise cet été, a indiqué M. Lafrance, et il espère les analyser cet hiver. Il espère également appliquer cette technologie à des photos prises dès le milieu du XXe siècle afin d’évaluer l’évolution de la région au fil du temps. Les images de 2021 sont actuellement disponibles sur le portail de données ouvertes du gouvernement provincial.

Frédérick Lafrance estime que CMQuébec est le premier organisme municipal dans la province à utiliser l’IA de cette façon, même s’il croit que ce n’est qu’une question de temps avant que d’autres grandes villes adoptent des outils similaires.

De nombreuses préoccupations

Renee Sieber, professeure agrégée de géographie à l’Université McGill qui étudie l’intelligence artificielle, soutient que les municipalités de partout au pays utilisent déjà l’IA de diverses manières.

Edmonton, par exemple, a utilisé l’intelligence artificielle dans le cadre d’un projet utilisant des caméras distantes pour surveiller la faune entrant dans la ville. Montréal et Toronto ont expérimenté l’IA pour réduire les embouteillages, et la Société de transport de Montréal travaille sur un projet pilote visant à utiliser l’IA pour prévenir les suicides dans le métro de la ville en analysant les images de vidéosurveillance à la recherche de signes indiquant qu’une personne est en détresse.

Mme Sieber a néanmoins averti que certaines utilisations de l’IA soulèvent plus de préoccupations que d’autres.

«Il y a une grande différence entre un arbre et une piscine de jardin», pointe-t-elle, ajoutant que les villes peuvent utiliser cette technologie pour aider à détecter des infractions mineures – des piscines sans clôture, par exemple, ou des hangars illégaux dans les cours des gens.

«Je me méfie toujours des villes qui n’ont pas d’objectifs clairement identifiés… parce que cela augmente le risque de dérive de la mission, confie-t-elle. Franchement, les gens n’aiment pas être surveillés d’en haut, et c’est très différent de voir un inspecteur en bâtiment se promener et jeter un coup d’œil dans le jardin de quelqu’un… Cela fait peur aux gens.»

Dans le cas de Québec, souligne M. Lafrance, les images aériennes existent déjà et l’IA ne révèle pas d’informations qui ne pourraient déjà être suivies manuellement – ce serait simplement beaucoup plus lent. La résolution de l’image est suffisamment nette pour différencier une voiture, un VUS et un camion, par exemple, mais pas pour identifier la marque et le modèle de voitures individuelles, encore moins les numéros de plaque d’immatriculation.

Une portée plus grande qu’escomptée

Les possibilités sont nombreuses pour les communes qui souhaitent utiliser l’intelligence artificielle appliquée aux images. Google a utilisé une combinaison d’images aériennes et d’IA pour estimer la couverture arborée dans des centaines de villes à travers le monde, dont Toronto, Montréal et Vancouver.

Richard Khoury, professeur d’informatique à l’Université Laval, affirme que les données québécoises pourraient être utilisées pour évaluer la valeur de différentes propriétés et cibler les zones moins développées pour des projets de développement urbain.

Mais l’IA a le potentiel de révéler bien plus que le simple nombre d’arbres et de voitures dans un quartier.

Une étude américaine de 2017 a utilisé l’apprentissage profond pour identifier la marque et le modèle de voitures sur 50 millions d’images de Google Street View. Les chercheurs ont découvert que les villes où les berlines étaient plus nombreuses que les camionnettes avaient 88 % de chances de voter démocrate, tandis que les villes où il y avait plus de camionnettes que de berlines avaient 82 % de chances de voter républicain.

Les auteurs ont présenté leurs résultats comme un outil puissant pour les chercheurs et les décideurs politiques, mais ont également souligné d’importantes questions éthiques. «Il est clair que les données publiques ne doivent pas être utilisées pour compromettre les attentes raisonnables des citoyens en matière de vie privée, et cela constituera une préoccupation centrale à l’avenir», écrivent-ils.

Mme Sieber prévient que les municipalités doivent réfléchir à la manière dont le public réagira à son utilisation de l’intelligence artificielle. «Aucun outil n’est neutre, rappelle-t-elle. Lorsque vous parlez de fiabilité dans l’IA, il y a une question de performance… mais il y a aussi une question d’acceptation sociale. Si vous surveillez les gens de manière invisible, vous n’augmentez probablement pas l’acceptation sociale. »

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