Les vestiges du stationnement d’Hydro-Québec témoignent de la naissance du Red Light

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Les vestiges du stationnement d’Hydro-Québec témoignent de la naissance du Red Light

MONTRÉAL — C’est non sans un pincement au cœur que l’archéologue d’Hydro-Québec, Martin Perron, a vu le site historique d’une maison close du 19e siècle, découverte derrière le siège social d’Hydro-Québec en plein centre-ville de Montréal, être remblayé pour redevenir un stationnement.

Car oui, les recherches menées dans les archives et l’analyse de la chaîne de titres ont révélé que l’impressionnant site archéologique mis au jour l’été dernier dans le stationnement de la société d’État a servi à plusieurs fonctions dont celle, fort probablement, d’être une des premières maisons de débauche du secteur ‘Red Light’ qui était à naître dans ce qui s’appelait alors le Faubourg Saint-Laurent.

Riches commerçants

Cependant, raconte l’archéologue en entrevue avec La Presse Canadienne, le site du bâtiment d’une exceptionnelle richesse témoigne surtout d’un usage initial beaucoup moins coloré: «Plusieurs personnages plutôt connus dans l’histoire de Montréal ont été propriétaires et/ou ont séjourné dans ce bâtiment. On peut penser à la famille Mallard, de très grands commerçants de potasse qui auraient acquis le terrain au début du 18e siècle et, par les mariages, la famille Beaudry est ensuite arrivée.»

«Les familles Beaudry et Mallard sont deux très grandes familles de commerçants connues à Montréal aux 18e et 19e siècles.»

Durant cette période, le bâtiment aurait probablement servi d’atelier de transformation de la potasse et de fabrication de chandelles au rez-de-chaussée et, à l’étage, ces riches commerçants y auraient habité ou auraient offert cet espace en location.

Un héritier aux moeurs légères

Tout cela a changé lorsqu’après un incendie, quelque part entre 1843 et 1845, François-Xavier Beaudry, fils du prospère commerçant Pierre Beaudry, l’a fait reconstruire. Or, il ne fallut que peu de temps avant que ce riche héritier fasse la manchette pour les mauvaises raisons, raconte Martin Perron: «Ce François-Xavier Beaudry, on le dit aux mœurs un peu débridées et légères. On lit dans certains articles de journaux que, dans la deuxième moitié du 19e siècle, le bâtiment est habité par des ivrognes, des prostituées, des gens de mœurs plutôt légères, ce qui correspond aussi à une évolution du Faubourg Saint-Laurent à l’époque qui se transforme tranquillement dans le Red Light qu’on connaît du Faubourg Saint-Laurent et ensuite de la rue Saint-Laurent.»

«On parle d’un quartier très animé, où drogue, sexe et alcool prévalent et donc le bâtiment était probablement devenu une maison close avant qu’il ne soit complètement détruit, autour des années 1880-85», faisant alors place à une scierie dont on a aussi trouvé des vestiges au cours des fouilles.

Mystères résolus

Au moment de présenter ce véritable trésor en juin 2023, plusieurs interrogations demeuraient, dont l’origine des propriétaires qui semblaient plus riches que les autres résidents du Faubourg – on sait maintenant qu’il s’agissait de commerçants prospères – et les raisons de la reconstruction au milieu du 19e siècle, que l’on attribue maintenant à l’incendie.

Un autre mystère planait quant à la présence d’artéfacts beaucoup plus vieux que le bâtiment des Mallard/Beaudry, datant ceux-là du 18e siècle, mais l’énigme a été résolue grâce à la chaîne des titres. Le terrain en question, concédé une première fois en 1651, avait été revendu en 1754 à un agriculteur qui y avait aménagé un verger. Les actes de concession font alors état de bâtiment sur ce lot, mais ils étaient fort probablement en bois, de sorte qu’on y a retrouvé des tessons de grès salin et de faïence, mais aucune trace de bâtiment.

Un remblaiement inévitable

Au moment de présenter ces découvertes, Hydro-Québec annonçait que le site serait mis en valeur pour devenir une place citoyenne intégrée au Quartier des spectacles qui témoignerait de l’histoire archéologique du Faubourg Saint-Laurent. Pourquoi, dans ce cas, remblayer le tout plutôt que d’en montrer les plus beaux atours à tous?

«Les seuls vestiges archéologiques qui sont encore visibles sont sous le musée Pointe-à-Callières et au musée Marguerite-Bourgeoys. Ce sont à peu près les seuls à Montréal, hormis quelques éléments des anciens murs de Montréal, dans le Vieux-Port», explique l’archéologue. Une mise en valeur des fondations du bâtiment et de son puits intérieur, ajoute-t-il, impliquerait «de mettre des plaques de verre pour voir les vestiges, mais la surveillance requise pour contrer le vandalisme, c’est beaucoup de travail, beaucoup d’investissement en temps et en ressources.» Même chose pour les artefacts exceptionnels découverts, qui devront nécessairement être exposés à l’intérieur d’espaces clos protégés, sous surveillance.

«On a décidé de le mettre en valeur autrement, explique Martin Perron. Il y aura des panneaux d’interprétation installés sur le site du nouvel espace citoyen où on va montrer des photos des fouilles, des plans anciens qui montrent l’existence de ce bâtiment-là». Un verdissement d’une section de ce qui est redevenu un stationnement – temporaire, nous dit-on à Hydro-Québec – est également prévu, mais les plans restent à être finalisés.

«Un petit pincement au coeur»

«Ça me fait toujours un petit pincement au cœur de voir un site comme ça remblayé, admet le chercheur, mais en même temps, je vous dirais que 99 % des cas sont comme ça. C’est très rare que l’on puisse, surtout dans un environnement urbain comme à Montréal, mettre en valeur in situ. Ça demanderait une gymnastique urbanistique très grande et des ressources exceptionnelles.»

Il fait toutefois remarquer que l’on a installé une membrane géotextile pour protéger le site et que le remblaiement vise à protéger les vestiges: «Si des archéologues dans le futur veulent y retourner, ce sera toujours possible.»

Martin Perron attend le rapport final des fouilles dans les prochains jours. Des publications scientifiques et une conférence au congrès annuel de l’Association des archéologues du Québec sont prévues, mais le grand public pourra prendre connaissance des conclusions tirées de ces magnifiques trouvailles lors d’une conférence grand public le 18 septembre à la Maison du développement durable, derrière laquelle se trouve le site.

Quant à l’aménagement de l’espace citoyen d’interprétation, qui couvrira une partie du site archéologique, on peut s’attendre à ce qu’il prenne forme d’ici l’été 2025.

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