La ville de 15 minutes n’est pas faite pour l’Amérique du Nord? Celle de 30, si

Caroline Chatelard, La Presse Canadienne
La ville de 15 minutes n’est pas faite pour l’Amérique du Nord? Celle de 30, si

MONTRÉAL — Le concept de «ville de 15 minutes», fort populaire en Europe, serait difficilement transposable en Amérique du Nord. En revanche, implanter un concept de «ville de 30 minutes» serait plus réaliste, révèle une étude de l’Université McGill.

Comme son nom le suggère, le concept de ville de 15 minutes est celui d’une ville où les habitants peuvent se rendre à leur travail, à l’école, à l’épicerie, au restaurant, à la bibliothèque et tous les lieux qui jalonnent leur vie quotidienne en seulement 15 minutes de marche ou de vélo. Le concept repose donc sur ce que l’on appelle les modes de déplacement actifs.

Le concept de ville de 15 minutes a pris de l’ampleur avec la pandémie de COVID-19 et les confinements qu’elle a imposés, racontent Thiago Carvalho et Meredith Alousi-Jones, membres de l’équipe du Pr Ahmed El-Geneidy, professeur à l’École d’urbanisme de l’Université McGill. M. Carvalho, un doctorant, pointe le fait que l’obligation de rester enfermés a poussé les gens à vouloir être plus dehors et à profiter plus de l’extérieur. «Le lien majeur, soutient-il, c’est qu’en ayant tout à proximité, on allez améliorer sa qualité de vie.»

L’équipe du Pr El-Geneidy n’est pas la seule à amener sur la table l’argument de la qualité de vie. Une étude de l’université de Waterloo, publiée en 2015, démontrait déjà que des temps de trajets plus réduits pour se rendre au travail faisaient baisser le sentiment de pression lié au temps, permettait un meilleur équilibre entre travail et vie privée, laissait plus de temps pour des activités récréatives et augmentait le sentiment de satisfaction vis-à-vis de sa vie. Une autre, de l’université de Toronto cette fois, datant de 2022, montrait que les longs trajets en voiture au quotidien augmentaient les risques de maladies cardiovasculaires et d’obésité. Autant de facteurs qui font du concept de ville de 15 minutes un outil, non seulement de qualité de vie, mais aussi de santé publique.

Voir moins grand

Des villes comme Paris, où la notion de vie de quartier tient une place importante, ou encore comme Amsterdam, avec son arsenal de vélos, ont bien compris ces enjeux et tendent vers l’objectif des 15 minutes. Mais ce qui est valable pour des villes européennes ne l’est pas tant pour d’autres. C’est ce que pointe l’étude de McGill. «Ce n’est pas un concept à taille unique», résume M. Carvalho.

Les villes nord-américaines sont trop étendues pour que le modèle de la ville de 15 minutes soit implanté sur le continent. Celui d’une ville de 30 minutes, en revanche, a bien plus de chances de réussir, dit l’étude.

«Les villes nord-américaines se sont beaucoup développées dans les années 1950 et 1960. Elles sont très concentriques, relève Thiago Carvalho. Ça veut dire que nos temps de trajet, à Montréal et dans d’autres villes nord-américaines, sont plus longs qu’en Europe.» Cela implique d’assouplir les échelles de temps pour adapter le concept à la ville avant d’adapter la ville au concept.

Plusieurs éléments plus spécifiques au contexte nord-américain entrent en concurrence dans la question des temps de trajet: les gens vont choisir de s’installer à un endroit pour être près de leur lieu de travail, ou au contraire de l’école de leurs enfants, mais ne pourront pas forcément combiner les deux. Les commerces seront également à un endroit différent, ainsi que les loisirs. Cette logique de zonage par fonction, qui délimite quartier résidentiel, quartier d’affaires, quartier commercial, etc., allonge les distances.

Le point positif, note l’équipe du Pr El-Geneidy, c’est que Montréal ne s’en sort pas si mal en la matière, car il existe déjà dans la ville plusieurs zones de développement mixtes, qui regroupent dans un même secteur les différents éléments énoncés plus haut. «Et nous avons aussi la piétonnisation en été, ajoute M. Carvalho, qui aide aussi les gens à accéder à ces services dans une courte distance.» Les chercheurs de McGill expliquent qu’il faut donc multiplier ces zones à usage multiple et densifier l’habitat pour limiter l’étalement urbain.

«Nous pensons que la première chose à faire, pour implanter le concept de ville de 30 minutes, est de changer le zonage de beaucoup de régions d’Amérique du Nord qui n’autorisent pas l’usage mixte», insiste le doctorant.

Métro, boulot, dodo

La seconde chose est de s’attaquer au transport en commun. À plus forte raison pour les villes déjà très étendues et où développer des zones à usage mixte est plus compliqué. L’idée que défend l’équipe de McGill est que, pour certaines villes, au lieu de limiter le concept de ville de 30 minutes au déplacement actif, il faudrait inclure le transport collectif. Elle soutient que ces objectifs assouplis selon le contexte de chaque ville sont atteignables, même si certains aspects rendent la chose plus difficile que d’autres.

La barrière principale qui se dresse devant l’implantation du concept de ville de 30 minutes est celle du travail. Ce trajet, déterminant, impacte l’intégralité de nos habitudes. Selon les données de Statistiques Canada, le temps de trajet moyen d’un Canadien en 2021 pour se rendre sur son lieu de travail était de 23,7 minutes, contre 26,2 minutes en 2016.

À Montréal, qui affiche la durée la plus faible entre les trois grandes métropoles canadiennes, le temps de trajet moyen en 2021 est de 27 minutes, en baisse de 3 minutes par rapport à 2016.

L’organisme fédéral pondère cette baisse nationale en rappelant que l’année 2021 a été marquée par la pandémie et par un recours au télétravail généralisé.

Le point notable est cependant la marge flagrante entre le temps de trajet moyen en véhicule personnel et en transports en commun. En 2021 toujours, de 22,8 minutes pour les travailleurs canadiens prenant le volant, la durée du trajet domicile-travail passe à 42,9 minutes pour ceux préférant l’autobus, le métro ou encore le train. Non seulement on se retrouve bien au-dessus de la barre des 30 minutes, on double presque le temps de trajet. Rien d’étonnant, donc, à ce que tant de personnes choisissent de prendre leur voiture pour aller gagner leur croûte. L’impact environnemental qui en découle vient ainsi faire écho aux besoins de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

«Nous n’aurons jamais plus aucune voiture, modère Thiago Carvalho. Cette réalité devrait donc être intégrée au concept.» La voiture ne doit simplement plus être le choix qui s’impose la plupart du temps pour pouvoir en limiter l’usage.

Mais comme il y a toujours un revers à la médaille, les chercheurs avertissent qu’il existe toujours un risque d’embourgeoisement. En mettant en place le concept de ville de 30 minutes, le risque est de faire payer le prix fort pour la qualité de vie que cela amène et de laisser sur la touche, voire de faire déménager, les franges de la population qui n’ont pas les moyens de s’offrir ce qui sera devenu un luxe. C’est pourquoi l’équipe du professeur insiste lourdement: «Il faut inclure toute la ville, ça ne peut pas être appliqué juste à un endroit.»

Pour une implantation réussie, les habitants doivent aussi être pleinement acteurs du processus. Il ne s’agit pas uniquement de changer leurs habitudes. Ils doivent exprimer leurs besoins en termes de temps de trajet, de services de proximité, leurs habitudes de déplacement et, évidemment, ce vers quoi ils aspirent.

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