La rentrée scolaire remet les géants des réseaux sociaux sur la sellette

Tara Deschamps, La Presse Canadienne
La rentrée scolaire remet les géants des réseaux sociaux sur la sellette

La rentrée scolaire pourrait signifier un retour sur la sellette pour les géants de la technologie.

Les plateformes de médias sociaux TikTok, Facebook, Instagram et Snapchat ont passé l’année scolaire dernière empêtrées dans un procès les accusant de perturber l’apprentissage et de contribuer à une crise de santé mentale chez les jeunes, laissant les enseignants aux prises avec les retombées.

Lorsque les élèves retourneront en classe en septembre, des experts prévoient que le conflit entre la technologie et les manuels scolaires sera ravivé — et peut-être même intensifier — alors que les écoles et les parents se rendent compte des impacts des médias sociaux sur l’éducation.

«La rentrée scolaire a lieu à un moment différent de ce qu’il était il y a deux, trois ou quatre ans», a prévenu Richard Lachman, professeur de médias numériques à l’Université métropolitaine de Toronto.

«Il semble clair qu’en tant que société, nous avons davantage de conversations sur les méfaits des médias sociaux, alors que les entreprises elles-mêmes sont dans une position où elles n’en font pas nécessairement plus». Selon Brett Caraway, professeur d’économie des médias à l’Université de Toronto, la situation dans laquelle se trouve le système éducatif cette année est une conséquence de la prolifération des appareils mobiles qui a commencé en 2007 avec l’avènement de l’iPhone. Cette situation a été exacerbée par les capacités des appareils photo, des applications et des réseaux sociaux.

«Je m’attends à ce que ce problème persiste, car la pénétration des téléphones intelligents chez les adolescents n’a pas diminué», a-t-il noté.

Des heures de temps d’écran

Un peu moins de 40 % des enfants canadiens âgés de 2 à 6 ans utilisaient un téléphone portable en avril 2022, selon les données de Statista. Ce chiffre passe à 50 % pour les enfants âgés de 7 à 11 ans et était encore plus élevé pour ceux âgés de 12 à 17 ans, soit 87 %.

Cette même année, 42 % des jeunes de 15 à 24 ans ont déclaré à Statistique Canada qu’ils passaient 20 heures ou plus par semaine à utiliser Internet à des fins générales, ce qui comprend l’utilisation des médias sociaux, la navigation sur le Web, les achats en ligne et la lecture des actualités.

Une grande partie de ces 20 heures est consacrée au défilement sans fin de vidéos virales, de publications et de photos provenant des différents réseaux sociaux qui sont devenus des noms familiers ces dernières années.

M. Caraway a récemment entendu parler par un ami de la famille d’un jeune de 14 ans qui passe en moyenne six heures par jour sur TikTok. Il a trouvé cela ahurissant.

«Je ne comprends pas comment quiconque peut avoir six heures par jour pour être sur un portable comme ça, mais c’est ce que les plateformes sont conçues pour faire», a-t-il déclaré.

«Elles gagnent de l’argent en démontrant aux annonceurs potentiels qu’elles ont des niveaux élevés d’engagement des utilisateurs […] La plateforme est fondamentalement conçue pour capter l’attention de l’utilisateur et la retenir le plus longtemps possible.» Cela peut être source de problèmes pour les enseignants qui essaient simplement de livrer un cours ou pour les élèves qui ont besoin d’étudier, mais qui sont constamment attirés par les médias sociaux.

Des études ont établi un lien entre le fait de passer plus de temps sur les médias sociaux et une baisse de l’estime de soi, des résultats scolaires, ainsi qu’une plus grande exposition à des contenus haineux, violents et pour adultes.

Une étude de 2018 de l’Organisation mondiale de la santé a conclu que 6,85 % des élèves étaient considérés comme ayant une utilisation problématique des médias sociaux, ce qui correspond au moment où les symptômes comportementaux et psychologiques de la dépendance aux médias sociaux se manifestent. Environ 33,14 % des élèves présentaient un risque modéré d’utilisation problématique des médias sociaux et 60 % un risque faible, selon l’étude.

Poursuivre les géants

Quatre conseils scolaires de l’Ontario ont décidé de porter l’affaire devant les tribunaux en mars dernier, poursuivant TikTok, Snapchat et Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, pour 4,5 milliards $. La poursuite les accusait d’avoir conçu de manière négligente leurs produits pour une utilisation compulsive et d’avoir reprogrammé la façon dont les enfants pensent, se comportent et apprennent.

En août, le groupe qui s’en prend aux géants de la technologie s’est agrandi pour inclure 12 conseils scolaires et deux écoles privées qui réclament plus de 8 milliards $, ont déclaré les organisateurs du procès School Boards for Change.

Les allégations contenues dans les poursuites n’ont pas été prouvées devant les tribunaux.

«Nos enfants s’effondrent littéralement et nous devons dépenser des ressources supplémentaires pour respecter notre obligation, qui est de fournir une éducation, a expliqué M. Caraway, ce procès est une tentative de faire payer quelqu’un pour cela».

Interrogée sur le procès et les suggestions selon lesquels les sociétés de médias sociaux ne font pas assez pour protéger les enfants en ligne, la porte-parole de Snapchat, Tonya Johnson, a assuré que l’application de son entreprise a été conçue pour être différente des autres plateformes, car elle essaie de ne pas faire pression sur les utilisateurs pour qu’ils soient parfaits ou populaires.

«Nous nous soucions profondément de la santé mentale des jeunes, et même si nous aurons toujours plus de travail à faire, nous sommes satisfaits du rôle que joue Snapchat pour aider les amis proches à se sentir connectés, heureux et préparés lorsqu’ils font face aux nombreux défis de l’adolescence», a-t-elle ajouté dans un courriel.

Meta n’a pas répondu à une demande de commentaire. TikTok a refusé de partager une déclaration.

Toutefois, lors d’une session de sécurité organisée par TikTok en juillet pour les médias, l’entreprise a décrit plusieurs mesures qu’elle a prises pour protéger les jeunes utilisateurs. Il était question notamment du jumelage familial, qui permet aux parents de lier directement leurs comptes à ceux de leurs adolescents et de s’assurer que les paramètres TikTok de leurs ceux-ci soient établis famille. Le jumelage permet aussi d’imposer des limites de temps d’écran d’une heure pour les utilisateurs de moins de 18 ans qui ne peuvent être contournées qu’avec un code.

Interdiction en classe

Comme les élèves restent distraits malgré les fonctionnalités, certaines provinces, dont l’Ontario, la Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse, le Manitoba et l’Alberta, interdiront les téléphones portables en classe cette année.

Beaucoup disent que ce n’est pas une solution miracle. Même si les élèves ne peuvent pas utiliser de téléphones en classe, ils les utilisent en douce dans «tous les coins et recoins» de leur emploi du temps, a rappelé M. Caraway.

Ils les allument dès qu’ils se réveillent, les vérifient entre les cours, puis y retournent à la maison jusqu’à l’heure du coucher.

Certains enseignants s’irritent également à l’idée qu’ils soient gardés hors des cours.

«Interdire les téléphones et la technologie n’a jamais été pour moi la solution, car cela revient à interdire la discussion en classe», a déclaré Joanna Johnson, l’éducatrice ontarienne à l’origine du compte populaire @unlearn16, lors de la séance de sécurité sur TikTok.

M. Lachman n’aime pas l’approche «d’abstinence» adoptée par les provinces qui ont interdit les téléphones, mais affirme que le véritable problème est que les entreprises de médias sociaux ont utilisent un modèle commercial «pour nous donner envie d’être connectés le plus longtemps possible ».

«Si vous voulez vraiment créer quelque chose de moins addictif […] allez-vous donner aux jeunes une interface différente? Allez-vous leur donner un algorithme complètement différent? », a-t-il demandé.

«Allez-vous leur donner quelque chose qui est conçu pour être moins attrayant, moins accessible en un clic, moins basé sur le défilement infini?»

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