Québec instaure un moratoire sur le programme des travailleurs étrangers temporaires

Frédéric Lacroix-Couture, La Presse Canadienne
Québec instaure un moratoire sur le programme des travailleurs étrangers temporaires

MONTRÉAL — Québec mettra en place deux mesures visant à réduire le nombre d’immigrants temporaires dans la province, en particulier à Montréal, où la survie du français est particulièrement menacée, selon François Legault.

Le premier ministre a annoncé mardi le dépôt d’un projet de loi cet automne afin de donner au gouvernement le pouvoir de limiter le nombre d’étudiants étrangers dans certains établissements d’enseignement «où il y a eu des abus».

À compter du 3 septembre, le gouvernement imposera aussi un moratoire de six mois concernant les demandes et les renouvellements en lien avec le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) sur l’île de Montréal.

Cette décision visera des emplois dont le salaire offert est inférieur au revenu médian du Québec, soit 57 000 $ par an ou 27,47 $/heure. Le gouvernement prévoit des exceptions qui touchent les secteurs de la santé, de l’éducation, de la construction, de l’agriculture et de la transformation alimentaire.

«Ce qu’on annonce aujourd’hui, c’est un premier pas», a soutenu M. Legault aux côtés de la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, en conférence de presse.

Le premier ministre a expliqué agir sur la partie que contrôle Québec en matière d’immigration temporaire. La province comptait au 1er avril environ 600 000 résidents non permanents. De ce nombre, 420 000 relèvent d’Ottawa, a-t-il précisé.

Depuis plusieurs mois, le gouvernement québécois réclame au fédéral une baisse «significative et rapide» du nombre d’immigrants temporaires sur son territoire, plaidant que la province a dépassé sa capacité d’accueil.

Selon le gouvernement caquiste, même si le Québec est une province accueillante pour les nouveaux arrivants, l’augmentation rapide du nombre d’immigrants temporaires est venue ajouter de la pression dans les services publics, comme les réseaux de l’éducation et de la santé.

«Ce qu’on propose aujourd’hui, ça devrait nous permettre de retirer 3500 personnes à Montréal sur les six prochains mois. Mais le problème reste le gouvernement fédéral. Il doit agir. C’est là-dessus qu’on va continuer de se battre», a affirmé M. Legault, qui a réitéré ses demandes auprès d’Ottawa.

Le moratoire pourrait être prolongé, a indiqué le premier ministre. Il portera notamment une attention aux actions du gouvernement fédéral pour décider de poursuivre ou non cette politique. M. Legault demande une réduction de moitié du nombre de demandeurs d’asile et de travailleurs étrangers temporaires.

Concernant le projet de loi, peu de détails ont été donnés mardi. Mme Fréchette a affirmé que la future pièce législative donnera des «leviers juridiques» permettant de mieux encadrer les demandes en fonction de différentes variables, telles que le type d’établissement, le nombre d’étudiants étrangers par établissement, le domaine d’étude et la région.

La ministre a soutenu que le nombre d’étudiants internationaux a augmenté de plus de 70 % au cours des dernières années, passant de 70 000 en 2018 à plus de 120 000 cette année.

«Il n’est pas question de venir fermer des classes en réduisant le nombre d’étudiants étrangers en région», a tenu à rassurer M. Legault aux différents établissements d’enseignement.

Ottawa accepte les changements

Emploi et Développement social Canada a indiqué mardi avoir accepté la proposition de Québec dans le cadre du PTET. Même si au Québec ce programme est géré par le gouvernement provincial, ce dernier a «techniquement» besoin de l’accord d’Ottawa, a mentionné M. Legault.

Dans un communiqué, le ministère fédéral affirme que «le gouvernement suivra cette initiative de près, car elle pourrait servir à déterminer les changements à apporter» à ce programme.

«Le gouvernement travaille de concert avec les provinces et les territoires pour s’assurer que les règles protègent à la fois les travailleurs canadiens et les travailleurs étrangers temporaires, tout en appuyant l’économie du pays», a déclaré le ministre fédéral de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, Randy Boissonnault.

Au début du mois d’août, M. Boissonnault avait annoncé que le gouvernement envisageait une série de changements afin d’empêcher certains employeurs d’embaucher des travailleurs étrangers temporaires.

Le PTET fait l’objet d’un examen minutieux depuis la pandémie, alors que les entreprises ont intensifié leur recours à cette main-d’œuvre.

Ottawa rappelle que ce programme représente «une mesure exceptionnelle à laquelle les employeurs ont recours lorsque les travailleurs déjà au Canada ne peuvent pourvoir les postes vacants».

Réactions du milieu économique

Des organismes du milieu économique québécois se sont dits inquiets face au moratoire de six mois.

Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) craint les impacts pour des entreprises des secteurs des services, du commerce de détail, de la restauration et de la fabrication.

«Cette décision risque de créer des défis importants pour de nombreuses entreprises qui dépendent du PTET pour pourvoir de nombreux postes vacants faute de disponibilité de la main-d’œuvre locale», a commenté le président et chef de la direction, Karl Blackburn, dans un communiqué.

Le CPQ invite le gouvernement caquiste «à déployer des mesures spéciales» pour les entreprises concernées, comme des initiatives visant à accélérer l’intégration de travailleurs éloignés du marché du travail, une aide pour faciliter le maillage avec les employés potentiels et un programme de rehaussement des compétences.

Selon la présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec, «les entreprises ne recruteraient pas à l’étranger si le bassin de main-d’œuvre déjà établi ici permettait de répondre à la demande».

«Le gouvernement demande à nos entreprises d’être plus innovantes, plus productives et plus compétitives. Les manufacturiers veulent répondre à l’appel, mais les mesures annoncées aujourd’hui viennent jeter un pavé dans la marre», a réagi Véronique Proulx, par voie de communiqué.

Pour la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), le geste de Québec amplifiera les pressions liées à la pénurie de main-d’oeuvre.

«Encore une fois, on enlève des leviers à des entreprises de certains secteurs économiques au détriment du secteur public. «Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais», c’est exactement ce que le premier ministre du gouvernement du Québec et la ministre de l’Immigration lancent comme message», affirme le vice-président pour le Québec à la FCEI, François Vincent.

À la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, son président et chef de la direction, Michel Leblanc, croit que «l’annonce du gel sur une base géographique ne tient pas compte de la réalité du marché du travail intégré dans la région métropolitaine».

«La décision de geler non seulement les nouvelles demandes, mais également les renouvellements de permis affectera des travailleurs qualifiés, bien intégrés, qui répondent à des besoins réels des entreprises de Montréal», a-t-il déclaré dans un communiqué.

La ministre Fréchette a soutenu que la métropole québécoise a connu une «hausse marquée» du taux de chômage, particulièrement chez les jeunes et chez les immigrants récents, soit ceux arrivés au cours des cinq dernières années. Chez les résidents non permanents, le taux de chômage est de 13 %, a-t-elle évoqué.

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