Les clubs montréalais font tous des efforts pour respecter la langue de Molière

Alexandre Geoffrion-McInnis, La Presse Canadienne
Les clubs montréalais font tous des efforts pour respecter la langue de Molière

MONTRÉAL — Il y a un peu moins d’un an, le maraudeur des Alouettes de Montréal, Marc-Antoine Dequoy, couronnait une légendaire tirade linguistique sur les ondes télévisuelles avec la célèbre phrase «Gardez-le votre anglais!», quelques minutes seulement après la victoire inattendue des Alouettes de Montréal face aux Blue Bombers de Winnipeg au match de la Coupe Grey, à Hamilton, en Ontario.

Le Montréalais âgé de 29 ans voulait alors dénoncer, avec ces quelques mots débordants d’émotions, l’omniprésence de la langue de Shakespeare sur les panneaux, tableaux indicateurs et autres objets promotionnels entourant le match de championnat de la Ligue canadienne de football. C’était un cri du coeur, qui rappelait, en quelque sorte, les aventures du personnage de bandes dessinées Astérix, qui habite «un village peuplé d’irréductibles Gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur».

Et c’était le point culminant d’une saison au cours de laquelle les Alouettes, une équipe négligée qui venait de connaître une longue période d’insuccès, avaient décidé de motiver les troupes dès le camp d’entraînement de 2023 en les conscientisant sur l’importance du français pour la population québécoise, et le marché montréalais.

Ainsi, à l’initiative de l’entraîneur-chef Jason Maas, un Américain du Wisconsin, celui-ci réservait quotidiennement une «surprise francophone» à tous ses athlètes, sans exception. Maas leur soumettait notamment des jeux-questionnaires improvisés sur le français, et demandait à chacun de ses joueurs de prononcer leur numéro en français. Un test relevé avec brio pour la majorité d’entre eux.

Le porte-parole du club a confirmé plus tôt cette semaine à La Presse Canadienne que les initiatives d’apprentissage du français se poursuivent chez les Alouettes. Maas a encore de petits «quiz» pour les joueurs, qui doivent apprendre leur numéro en français et un mot par jour. Il a aussi indiqué qu’il a parfois de — brèves — interactions en français avec certains joueurs.

Alors, qu’en est-il des autres organisations professionnelles montréalaises? La Presse Canadienne s’est penchée sur cette question et a notamment rencontré Jeff Gorton, le vice-président exécutif des opérations hockey du Bleu-blanc-rouge, à ce sujet plus tôt cet été.

Car, après des années à faire l’objet de critiques sur sa négligence du français — faut-il rappeler que le club de hockey Canadien se réfère, à l’origine, aux Canadiens français, c’est-à-dire à la population québécoise? —, le Canadien a pris le taureau par les cornes et a implanté, notamment, un cours de français gratuit et accessible à tous les membres de son organisation. Gorton, lui-même, affirme suivre un cours chaque semaine. Il a d’ailleurs tenté une — brève — réponse en français lors du bilan de fin de saison de l’équipe plus tôt ce printemps.

«Vous savez quoi, il y a tellement de questions en français et Kent (Hughes, le directeur général) parle tellement. C’est encore un peu trop rapide pour moi, un novice. Mais c’est bien d’avoir ça. En même temps, si les gens autour de moi parlent suffisamment lentement, j’arrive à discerner quelques mots dans chaque phrase. J’apprends, j’imagine? C’est difficile, je dois l’admettre, mais j’aime suivre ces cours», a évoqué Gorton.

Et qu’en est-il des joueurs?

«Nous avons quelques professionnels à notre disposition pour ceux qui veulent suivre des cours. Généralement, nous essayons de les rendre disponibles une fois par semaine, mais parfois, en raison de la lourdeur du calendrier, ça va aux deux semaines. Et comme pour tout le reste, rien n’est obligatoire. Mais nous avons beaucoup d’employés qui suivent ces cours, les apprécient et qui les poursuivent. Nous en sommes assez fiers», a ajouté l’ex-dirigeant des Rangers de New York.

«La plupart de nos gars, si vous fouillez un peu, ont des bases (de français). Ils savent comment dire «Bonjour», «Comment ça va»? Il y a par exemple Logan Mailloux, qui a dit quelques mots en français après un match, et l’accueil des partisans a toujours été chaleureux. Nous avons des joueurs comme Justin Barron, qui a suivi des cours en immersion française (…) Il s’agit de le proposer et de faire en sorte qu’ils soient un peu plus à l’aise. Ça se passe plutôt bien», a poursuivi Gorton, un Américain âgé de 56 ans originaire du Massachusetts.

«Je pense qu’ils veulent tous en faire un peu plus. Vous parlez à Nick (Suzuki, le capitaine), il étudie. Beaucoup d’entre eux sont sur (la plateforme) Babel; c’est une autre façon de persévérer. Ils sont beaucoup plus jeunes que moi, et leur cerveau apprend beaucoup plus rapidement que le mien», ajoute-t-il, en riant.

L’équipe de Montréal, dans la Ligue professionnelle de hockey féminin, n’est pas en reste, avec de nombreuses joueuses francophones au sein de son effectif. Et qui pourrait oublier l’entrevue en français accordée par son entraîneuse Kori Cheverie, une Néo-Écossaise, quelques mois seulement après avoir commencé des cours de français?

«J’en ai entendu parler!, a admis Gorton en s’esclaffant. J’ai eu l’air ridicule à côté d’elle! Les gens de mon entourage m’ont dit qu’elle parlait un excellent français. J’avais vraiment l’impression d’être un cancre.»

Gorton a assuré du même souffle que le français est très important au sein de l’organisation tricolore.

«Ça part de ‘Marty’ (l’entraîneur-chef Martin St-Louis). Quand il parle, tous les jours, les gars comprennent l’importance des deux langues ici. De la place du hockey à Montréal. Nous essayons de conscientiser tout le monde.(…) Nous voulons que nos joueurs fassent de leur mieux dans tout ce qu’ils font. Nous les encourageons donc autant que possible à prendre du temps, à trouver le temps, pour apprendre un français fonctionnel. Et nous espérons que certains surdoués puissent ressortir du lot. Et qu’à un certain moment, ils soient suffisamment confortables pour vous accorder des entrevues en français», a-t-il résumé.

Le CF Montréal bien implanté dans sa communauté

De son côté, le CF Montréal a implanté une structure calquée sur celle des grands clubs européens de soccer, lesquels sont profondément enracinés dans leur communauté respective. Le club de la Major League Soccer a notamment développé son Académie, laquelle est responsable d’identifier et de développer les plus beaux espoirs québécois dès le plus jeune âge.

Cette Académie joue un rôle d’autant plus important depuis que le CF Montréal a modifié sa stratégie sportive, qui consiste essentiellement à leur offrir un tremplin vers les plus grands circuits européens, entre autres. À ce sujet, les Québécois Ismaël Koné et Mathieu Choinière, aujourd’hui respectivement avec l’Olympique de Marseille et le Grasshopper Club de Zurich, sont de très bons exemples de réussite. La présence de l’ancien capitaine Patrice Bernier, et de l’actuel, Samuel Piette, démontre également l’importance du fait français pour le club.

Et, bien sûr, le CF Montréal appartient toujours à l’homme d’affaires montréalais Joey Saputo, est géré par le Montréalais Gabriel Gervais, président et chef de la direction, et dirigé sur le terrain par le Français Laurent Courtois. Bref, le français résonne souvent dans les corridors du stade Saputo.

Bien que le club n’ait pas accordé d’entrevue formelle à La Presse Canadienne à ce sujet, son porte-parole a mentionné que le CF Montréal a déjà offert des programmes pour inciter les joueurs à apprendre le français, sans que ça soit une obligation ou une demande des dirigeants. Un des exemples qui a été soulevé est celui de l’Américain Jesse Marsch, le premier entraîneur-chef de l’équipe en MLS — qui est aujourd’hui l’entraîneur-chef de l’équipe canadienne de soccer masculin. Marsch parlait déjà le français, de manière fonctionnelle, avant de joindre les rangs montréalais, mais il a suivi des cours pour parfaire son français et s’adresser aux médias et aux partisans avec aisance.

Les cours n’ont pas repris depuis la pandémie de COVID-19, a précisé le porte-parole du club, mais ça ne veut pas dire que ça ne va pas revenir à un certain moment.

Bref, dans un monde où tout se déroule essentiellement dans la langue de Shakespeare, le marché montréalais reste unique en son genre. Et les clubs professionnels de la métropole tentent donc, en implantant diverses mesures couronnées parfois de succès, parfois d’échecs, de s’assurer qu’ils font tout en leur possible pour témoigner de leur respect envers la langue de Molière.

Et qui sait, peut-être qu’à l’image de la victoire inattendue des Alouettes en 2023, le français parviendra-t-il à conserver sa place dans cette métropole résolument bilingue?

– Avec la contribution de Frédéric Daigle, Alexis Bélanger-Champagne et Simon Servant

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