Les effets des vols spatiaux sur le microbiome des astronautes démystifiés

Katrine Desautels, La Presse Canadienne
Les effets des vols spatiaux sur le microbiome des astronautes démystifiés

MONTRÉAL — Les vols spatiaux affectent le microbiome intestinal des astronautes en diminuant une catégorie de bactéries essentielles à plusieurs fonctions du corps. Ces conclusions d’une étude de l’Université McGill, du University College Dublin et de la NASA pourraient aussi s’appliquer pour le commun des mortels.

Le portrait détaillé qui a été brossé par les chercheurs pourrait aussi orienter de prochaines missions dans l’espace, notamment de longs séjours sur la Lune ou un premier voyage avec des humains sur Mars.

Les scientifiques tentent de voir si des régimes ou des probiotiques pourraient aider à contrebalancer la baisse des bonnes bactéries dans le microbiome. Ce genre d’intervention alimentaire pourrait être bénéfique pour toute la population, affirme l’auteur principal de l’étude, Emmanuel Gonzalez.

Avec ses collègues, ils ont analysé le microbiome de groupes de souris qui étaient dans la Station spatiale internationale et d’autres qui sont restées sur Terre.

«Le microbiome est tellement difficile à analyser que jusqu’à présent les gens ne voyaient pas la différence. C’est-à-dire qu’il y avait des souris qui restaient sur Terre et des souris qui partaient dans la station spatiale, à peu près la même chose qu’on a fait, mais les gens n’arrivaient pas à trouver. Ou alors ils arrivaient à montrer qu’il y avait une bactérie qui était significativement différente entre celles qui étaient dans l’espace et celles qui étaient sur Terre. On a été les premiers à montrer qu’il n’y en avait pas qu’une, mais un groupe de bactéries», explique M. Gonzalez.

Il décrit le microbiome comme un écosystème. Le groupe de bactéries qui diminuent en grand nombre lors de vols spatiaux, appelées les bactéries commensales, jouent un rôle fondamental pour que l’écosystème fonctionne bien.

«Leur travail va bénéficier non seulement à l’hôte, dans ce cas-là ce sont les souris, mais aussi aux autres bactéries», explique M. Gonzalez. Ces dernières vont avoir une influence sur les acides gras à chaînes courtes. Cela va faire en sorte de rendre l’intestin imperméable, ce qui est nécessaire pour éviter l’inflammation.

Des effets dès le décollage

On savait déjà que les astronautes présentaient plusieurs problèmes de santé après leur passage dans l’espace, dont de l’inflammation intestinale, un fort taux de sucre dans le sang, une hausse du cholestérol et une baisse importante de la masse musculaire.

Dans la présente étude, M. Gonzalez a retracé le microbiome jusqu’au foie et au colon et il a constaté que le microbiome était déséquilibré. Les souris n’arrivaient pas à transformer les sucres et le cholestérol, ce qui a fait grimper leurs taux dans le sang, à un point tel que ce sont des niveaux prédiabétiques. «C’est exactement ce qu’on observe chez les astronautes, donc la même chose est observée chez les humains», souligne M. Gonzalez.

Tout commence dans le foie qui va transformer le cholestérol en acide biliaire et l’envoyer dans l’intestin. «L’acide biliaire agit un peu comme une sorte de détergent, c’est-à-dire qu’il va laver. Il va dissoudre les gras et donner de l’espace aux espèces qui sont là. Ces espèces, qui sont contentes, vont consommer l’acide biliaire et le transformer en acide biliaire secondaire, et l’hôte va utiliser ces acides biliaires secondaires pour casser les sucres grâce à l’insuline. Ça augmente le pouvoir de l’insuline», explique M. Gonzalez.

Sans cet acide biliaire secondaire, les problèmes d’inflammation intestinale apparaissent et les taux de sucre et de cholestérol augmentent.

Le chamboulement de ce processus se produit dès le décollage de la fusée, indique M. Gonzalez, qui est également spécialiste en bio-informatique du microbiome au Centre de recherche sur le microbiome de l’Université McGill et au Centre canadien de génomique computationnelle.

«[Au décollage], les bactéries se recroquevillent et elles n’ont pas accès à l’acide biliaire aussi facilement qu’avant. Le phénomène exact est difficile à expliquer, mais les statistiques montrent clairement que la quantité de bactéries commensales diminue comparativement aux souris qui sont restées sur Terre», résume M. Gonzalez.

Une autre recherche intitulée Expérience Mars 500, où les sujets humains étaient isolés en Russie pour imiter un aller-retour vers Mars, suggérait que l’apesanteur n’était pas le coupable de tous les problèmes de santé observés. Selon M. Gonzalez, ce pourrait être le stress du voyage qui bouleverse le microbiome.

«On a refait cette analyse avec nos instruments de haute résolution développés à Montréal, et on le voyait exactement. C’est la même chose qui se passait avec les souris», dit-il.

Ces découvertes sont possibles grâce à une technologie montréalaise développée par l’Université de Montréal et l’Université McGill. Cette technologie notamment prisée par la NASA est un procédé de séquençage qui demande plus d’expertise et de temps, précise M. Gonzalez, mais qui a permis à ce jour de faire d’importantes avancées scientifiques.

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