Le NPD se retire de l’entente le liant aux libéraux

Émilie Bergeron, La Presse Canadienne
Le NPD se retire de l’entente le liant aux libéraux

OTTAWA — Les néo-démocrates laissent tomber les libéraux en déchirant leur entente qui assurait au gouvernement minoritaire de Justin Trudeau de rester au pouvoir jusqu’en juin 2025, a annoncé mercredi le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh.

«Les libéraux sont trop faibles, trop égoïstes et trop proches des ultrariches pour se battre pour les gens», a-t-il déclaré dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux.

M. Singh a dit vouloir livrer «un combat important», soit celui de contrer la menace que pose selon lui pour les Canadiens le chef conservateur Pierre Poilievre.

À son avis, les libéraux ne peuvent empêcher l’ascension au pouvoir de M. Poilievre. «Ils ne peuvent pas redonner espoir. Ils ne peuvent pas arrêter les conservateurs, mais nous pouvons le faire», a-t-il fait valoir. M. Singh ne s’est pas rendu disponible pour répondre aux questions des journalistes, mercredi, son équipe ayant néanmoins annoncé un point de presse jeudi.

Le premier ministre Trudeau a affirmé que «le NPD va devoir faire un choix». «Est-ce qu’ils veulent jouer de la politique ou est-ce qu’ils veulent être là pour servir et livrer pour les Canadiens? Nous, on a fait notre choix (et) on va continuer d’être là pour livrer pour les Canadiens», a-t-il lancé en point de presse à Terre-Neuve-et-Labrador.

La leader parlementaire des libéraux, Karina Gould, en a rajouté une couche en qualifiant de «honteux» le retrait du NPD de l’entente, plaidant qu’il est fait «sur le dos des Canadiens».

Au cours des derniers jours, le chef du NPD s’est offusqué qu’Ottawa impose un arbitrage exécutoire qui a fait revenir au travail 9300 cheminots en lock-out à la Compagnie des chemins de fer nationaux et au Canadien Pacifique Kansas City.

Une source néo-démocrate a décrit cet épisode comme «une frustration supplémentaire» pour les troupes de M. Singh. Or, «la décision» de déchirer l’entente «était prise avant ça».

L’annonce se préparait depuis des semaines, a indiqué cette source bien au fait du dossier qui a demandé l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement de ces questions.

Malgré les gains que le NPD disait avoir soutirés aux libéraux avec leur entente qui durait depuis plus de deux ans, le temps était venu de se distancier, a-t-on expliqué.

«On sentait depuis un bon moment qu’on avait été aussi loin qu’on pouvait», a dit la source. Cette dernière a soutenu qu’il était difficile de négocier avec les libéraux, «comme si on leur enlevait des dents de sagesse».

Selon l’ex-stratège néo-démocrate Karl Bélanger, la décision du NPD découle du calcul qu’il devenait de plus en plus difficile de vivre avec le «prix politique à payer pour appuyer un gouvernement qui est de plus en plus impopulaire».

«Ce qu’on tente de faire, c’est, d’une part, créer un contraste avec le Parti libéral et, d’autre part, d’éviter de couler avec le bateau qui prend l’eau», analyse celui qui a été conseiller auprès des ex-chefs du NPD Jack Layton et Thomas Mulcair.

L’entente de soutien et de confiance du NPD avec les libéraux, qui était prévue de durer jusqu’en juin 2025, assurait à Justin Trudeau l’appui du parti d’opposition dans tout vote de confiance susceptible de faire tomber le gouvernement.

En échange, les libéraux promettaient d’accomplir une série de choses chères aux néo-démocrates, comme le lancement d’un programme d’assurance médicaments.

M. Trudeau a signalé que ses troupes entendent «continuer de se battre à la Chambre des communes». «S’il y a d’autres partis qui veulent plus jouer de la politique que de livrer pour les Canadiens, eh bien les Canadiens le verront, mais moi, ma priorité, c’est d’être là pour les gens dans ces moments difficiles.»

La fin de l’entente entre le NPD et les libéraux ne signifie pas qu’une élection sera systématiquement déclenchée, même si cela ouvre la porte à un tel scénario. Le gouvernement de Justin Trudeau devra négocier au cas par cas avec les partis d’opposition pour s’assurer de survivre aux votes de confiance, mais aussi pour faire adopter ses projets de loi.

«Ils ne peuvent plus nous prendre pour acquis», a dit la source néo-démocrate.

Selon le leader parlementaire du Bloc québécois, Alain Therrien, la fin de l’alliance entre le NPD et les libéraux vient donner aux bloquistes de nouveaux outils de persuasion auprès du gouvernement minoritaire.

«C’est une fenêtre d’opportunité qui s’ouvre enfin pour le Bloc. On en a fait des gains, mais là c’est encore plus facile d’en faire», croit-il.

Le ministre Pablo Rodriguez, qui a été leader parlementaire durant le premier mandat minoritaire du gouvernement Trudeau, se réjouit que le Bloc québécois souhaite discuter avec sa formation politique.

«Depuis qu’on avait l’entente, ils avaient, à toutes fins pratiques, cessé de nous parler», a dit celui qui est dorénavant ministre de Transports.

M. Rodriguez assure que le gouvernement a toujours tenté de garder les canaux de communication ouverts «avec tout le monde» malgré l’existence de l’accord avec les néo-démocrates.

«L’entente que nous avions avec le NPD assurait une certaine stabilité, a souligné le ministre. Elle n’existe plus donc (…) on retourne aux négociations traditionnelle avec les différents partis.»

L’instabilité se fera particulièrement sentir au cours de certains votes aux Communes qui deviendront, selon M. Rodriguez, «des moments de grands drames comme on l’a vécu dans le passé».

«Ce qui est dommage d’une certaine façon, mais en même temps, c’est ce que le NPD souhaite. Donc on va vivre avec ce contexte-là», a-t-il conclu.

M. Poilievre a, la semaine dernière, demandé au NPD et au Bloc québécois de ne pas soutenir le gouvernement dans un éventuel vote de confiance afin d’entraîner «une élection sur la taxe carbone».

Il a réitéré mercredi cette demande, reprochant à M. Singh de ne pas s’être engagé en ce sens.

«À un moment donné, le Bloc va devoir décider avec Jagmeet Singh (s’ils) voteront encore (…) pour garder Justin Trudeau au pouvoir et augmenter la dette et les déficits en conséquence», a dit le chef conservateur au cours d’une conférence de presse en Colombie-Britannique.

Le chef conservateur n’a pas précisé quand l’opposition officielle pourrait déposer une motion de censure, disant attendre de voir le calendrier parlementaire et quelles occasions s’offrent pour ce faire.

Les travaux parlementaires doivent reprendre le 16 septembre.

Partager cet article
S'inscrire
Me notifier des
guest
0 Commentaires
plus ancien
plus récent plus voté
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires