Churchill, entre ours polaire et changements climatique, est un modèle d’adaptation

Seth Borenstein, The Associated Press
Churchill, entre ours polaire et changements climatique, est un modèle d’adaptation

Les changements ont remodelé Churchill et continuent de refaçonner cette ville isolée du nord-est du Manitoba, sur les rives de la baie d’Hudson, à la frontière entre la forêt boréale et la toundra.

La base économique de Churchill s’est effondrée lorsque l’armée a quitté la ville. Disparus aussi le service ferroviaire et les cargos, qui étaient les éléments vitaux de l’approvisionnement de cette ville qui n’est pas reliée au reste du monde par des routes. Le climat se réchauffe, les animaux emblématiques de la région diminuent et même le sol bouge.

Au cours de tous ces chambardements, Churchill s’est adaptée. La ville s’est tournée vers le tourisme, attirant des visiteurs qui veulent voir de près des ours polaires, nombreux dans la région. Les autorités ont trouvé des moyens de revitaliser son port et son chemin de fer. Alors que le changement climatique se fait sentir, on a commencé à concevoir des bâtiments plus flexibles et à chercher à attirer des visiteurs plus variés en prévision d’un rétrécissement de la banquise qui ferait chuter la population d’ours, comme le craignent les scientifiques.

Les résidents, les représentants du gouvernement et les experts affirment que la ville de Churchill est maintenant un modèle pour faire face à des changements radicaux. Ils attribuent cette capacité d’adaptation à l’état d’esprit rural qui se concentre sur les solutions, pas sur les gémissements.

Churchill se trouve à environ 1700 km au nord de Winnipeg. Avant la fermeture de la base militaire et du site de recherche sur le lancement de fusées il y a plusieurs décennies, la ville comptait des milliers d’habitants. Ces sites sont tombés en ruine et ce qui était autrefois un port animé a fermé. Le service ferroviaire a été interrompu pendant plus d’un an, les intempéries ayant détruit des voies mal entretenues.

Au fur et à mesure que Churchill déclinait, les ours ont commencé à venir plus souvent en ville, n’étant plus effrayés par le bruit de la base et des lancements de fusées, et désespérés par le fait que le changement climatique faisait fondre la glace de la baie d’Hudson dont ils dépendent pour la chasse.

Un mécanicien local a construit un véhicule de loisirs suréquipé de pneus surdimensionnés pour aller observer les ours en toute sécurité. Les photos et les documentaires ont attiré les touristes, qui dépensent en moyenne 5000 $ par visite — des millions de dollars au total en retombées. Churchill se présente désormais comme «la capitale mondiale de l’ours polaire» et, bien qu’elle n’ait même pas de feux de circulation, elle propose des restaurants haut de gamme et de nombreux hôtels familiaux. Si la formule «ours polaires» prend fin, Churchill espère être prêt.

Bélugas et aurores boréales

La ville fait aussi la promotion du tourisme pour les bélugas, même si ces mammifères risquent eux aussi d’être touchés par le déplacement de l’écosystème de la baie d’Hudson. Elle met également en avant les aurores boréales, l’ornithologie et même le traîneau à chiens.

«La saison des ours ne durera pas, on le sait. Alors, il va falloir s’adapter au changement», déclare Mike Spence, maire de Churchill depuis 1995.

Le port fermé et les voies ferrées endommagées ? La Ville les a repris et les a remis en service. Le sol s’affaisse parce que les précipitations se changent en pluie et que le pergélisol dégèle ? Les nouveaux bâtiments comme ceux de Polar Bears International, une organisation de conservation à but non lucratif dont le siège social est dans la ville, sont équipés de vérins métalliques qui peuvent être ajustés lorsqu’un coin s’affaisse de près de 15 cm en cinq ans.

Lauren Sorkin, directrice du «Resilient Cities Network», a déclaré que chaque ville devrait avoir un plan d’adaptation aux effets du changement climatique sur l’économie et le tourisme.

«Churchill est un exemple remarquable d’une ville qui planifie à l’avance pour protéger les communautés et préserver son environnement naturel et sa biodiversité», a-t-elle souligné.

Le maire Spence, qui est Cri, a grandi sans électricité ni eau courante dans «les plaines» en périphérie de la ville, qui était dirigée par une minorité blanche. Churchill est aux deux tiers autochtone avec des Cris, des Métis, des Inuits et des Dénés. M. Spence se souvient que son père disait que si seulement il parlait mieux anglais, il pourrait dire aux responsables comment réparer cette ville.

«J’imagine que je fais ça pour lui, a-t-il déclaré. On ne dit pas simplement « j’ai un problème »: on cherche des solutions.»

Reprise du chemin de fer et du port

En 2018, «Arctic Gateway Group», un partenariat de 41 communautés des Premières Nations et du Nord, a pris possession du port et du chemin de fer abandonné. Le service ferroviaire a repris cette année-là.

Les responsables du Manitoba ont déclaré qu’au cours des deux dernières années, 610 kilomètres de voies avaient été modernisés et 10 ponts réparés. Le transport maritime dans le port a plus que triplé depuis 2021, y compris le retour de son premier navire de croisière depuis dix ans, ont-ils indiqué. Plus tôt cette année, les responsables ont annoncé un financement supplémentaire de 60 millions $ pour le port et le chemin de fer.

La propriété locale est essentielle à Churchill, a soutenu Dave Daley, ancien président de la Chambre de commerce, qui a quitté la ville dans les années 1980 avant de revenir après cinq ans parce que lui et sa femme s’ennuyaient de cette localité. De grandes chaînes hôtelières sont venues sonder le terrain et ont dit qu’elles pourraient réparer l’infrastructure de la ville et construire quelque chose de grand.

«Nous nous sommes tous levés et avons dit non, se rappelle M. Daley. Nous sommes un groupe soudé. Nous avons nos opinions différentes et tout le reste, mais nous savons ce que nous voulons pour cette ville.»

Au fur et à mesure que Churchill évolue, son passé oublié refait surface lorsque des touristes posent des questions sur les habitants et leur histoire, a souligné Georgina Berg, une résidente de longue date qui, comme M. Spence, a vécu sur les plaines lorsqu’elle était enfant. Ce passé comporte aussi des «histoires pas très heureuses» de délocalisation forcée, de femmes disparues, de pauvreté, de chasse de subsistance, d’ignorance, de décès et d’abus, a déclaré Mme Berg, qui est Crie.

M. Daley, coureur de traîneau à chiens et président d’«Indigenous Tourism Manitoba», raconte comment le peuple métis a été particulièrement ignoré, maltraité et réprimé, mais il conclut sa leçon d’histoire par un changement brusque de ton.

«On ne peut pas modifier le passé, mais on peut changer l’avenir: c’est ce que j’enseigne à mes enfants, dit-il.

Pendant ce temps, MM. Daley et Spence remarquent les changements climatiques: non seulement le temps est plus chaud, mais il y a aussi de l’orage ici, quelque chose d’inimaginable autrefois. L’Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste du monde. Même si la ville de Churchill n’est pas aussi mal lotie parce qu’elle se trouve au sud du cercle polaire arctique, «c’est quelque chose que nous prenons au sérieux», a déclaré le maire Spence.

«Il s’agit de trouver le bon équilibre pour s’adapter au changement climatique. Et de travailler avec.»

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