Chassin quitte le bateau de la CAQ; Legault dit avoir la confiance de son caucus

Thomas Laberge, La Presse Canadienne
Chassin quitte le bateau de la CAQ; Legault dit avoir la confiance de son caucus

QUÉBEC — Autre coup dur pour la Coalition avenir Québec (CAQ): le député de Saint-Jérôme, Youri Chassin, quitte le bateau quelques heures après avoir publié une lettre ouverte dans laquelle il critique son propre gouvernement sur sa gestion des finances publiques. Malgré cet autre départ, le premier ministre François Legault dit avoir la confiance de son caucus, mais admet que certains élus partagent les préoccupations de M. Chassin.

En conférence de presse à l’Assemblée nationale, jeudi, M. Chassin a annoncé qu’il siégerait désormais comme indépendant.

«Ironiquement, je compte pousser la CAQ à réaliser l’agenda de la CAQ, mais depuis l’autre bord de la Chambre», a-t-il déclaré jeudi matin.

Selon lui, le parti de François Legault a perdu son «énergie» et son «audace» nécessaires pour «bousculer le statu quo» et sortir le Québec de son «modèle sclérosé et même usé à la corde, où c’est toujours le gouvernement qui prend tout en charge».

«Dans le parti, dans les cabinets, auprès des ministres et hier (mercredi) soir auprès du premier ministre, j’ai tout essayé pour ramener l’agenda caquiste et je n’ai pas réussi», a-t-il affirmé.

M. Chassin assure qu’il va finir son mandat et qu’il ne se joindra pas à un autre parti.

Des rumeurs laissaient entendre que M. Chassin aurait pu se joindre au Parti conservateur du Québec (PCQ), avec qui il a davantage d’affinités idéologiques. Le député de Saint-Jérôme a indiqué avoir appelé le chef Éric Duhaime jeudi matin pour lui dire qu’il ne serait pas un transfuge. «J’ai été élu sous la bannière de la CAQ. Si je n’y crois plus, je ne peux pas rester, mais je ne veux pas être élu sous une autre bannière», a-t-il expliqué.

François Legault a admis qu’il savait depuis longtemps qu’il y avait des points de désaccord avec le député de Saint-Jérôme. «Je sentais depuis un certain temps qu’effectivement qu’il a des choses qui l’achalaient», a-t-il affirmé en point de presse jeudi à l’Assemblée nationale.

Les départs ne cessent de s’accumuler dans les rangs caquistes. La semaine dernière, la démission du superministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a provoqué une véritable onde de choc. En avril dernier, le whip en chef du gouvernement, Éric Lefebvre, avait dû quitter, car il souhaite se lancer avec les conservateurs de Pierre Poilievre. En juillet 2023, la députée caquiste de Jean-Talon, Joëlle Boutin, avait claqué la porte. Son départ a entraîné une élection partielle qui a été gagnée par le Parti québécois.

Lors de l’annonce du départ de M. Fitzgibbon au caucus caquiste à Rimouski, M. Legault avait dit qu’il n’avait «aucune indication de d’autres départs, ni chez les députés, ni chez les ministres».

Or, Youri Chassin affirme que l’insatisfaction est palpable dans les rangs de la CAQ. Il a dit avoir été «applaudi» par certains de ses collègues lorsqu’il a fait part de son mécontentement au caucus.

Le premier ministre a admis qu’il y avait «peut-être une impatience» au sein de ses troupes à régler les négociations avec la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et pour réduire le déficit.

«Je sens qu’il y a certains députés (…) qui souhaitent qu’on réduise le déficit et que les changements se fassent plus vite dans le réseau de la santé», a-t-il dit.

«Une guerre atomique»

Lors de son point de presse, M. Legault a longuement raconté sa rencontre de mercredi soir avec Youri Chassin. Il a dit que le député de Saint-Jérôme lui a beaucoup parlé de son «dada», la transparence syndicale. «Il aimerait qu’on force les syndicats à publier leurs états financiers et les détails sur les salaires et tout cela», a relaté le premier ministre.

Bien qu’il reconnaisse que d’autres élus caquistes appuient Youri Chassin dans ce dossier, le premier ministre a dit ne pas vouloir ouvrir cette porte, malgré qu’il ne soit pas «nécessairement contre». «Ça serait un peu une guerre atomique», a-t-il imagé, d’autant plus que les négociations dans le secteur de la santé ne sont pas réglées.

«Mais sur la majorité des dossiers, je pense que les députés sont à la même place que moi. (…) Je ne sens non plus pas que le caucus veut qu’on remette en question nos priorités et notre plan de match», a ajouté le premier ministre.

La CAQ doit se «ressaisir»

Dans sa missive publiée jeudi matin dans les médias de Québecor, M. Chassin a appelé son propre parti à se «ressaisir», estimant que le gouvernement de François Legault a appliqué «la vieille recette qui consiste à jeter de l’argent sur les problèmes» plutôt que de chercher à faire les choses différemment.

M. Chassin a fait valoir que malgré une forte hausse des dépenses, qui a entraîné un déficit de 11 milliards $ dans le dernier budget, les services publics paraissent plus fragiles. Lors du dépôt de ce budget, il avait qualifié ce déficit de «vertigineux».

Directement visé par les critiques du député de Saint-Jérôme, le ministre des Finances, Eric Girard, a défendu ses choix budgétaires en affirmant que les réformes des services publics nécessitent des investissements. «On sort d’une pandémie et on manque de personnel en éducation et en santé et on fait un investissement dans nos ressources humaines pour compléter les efforts qu’on fait en infrastructures», a-t-il dit.

M. Chassin a déploré que plutôt que d’alléger la bureaucratie, le gouvernement de la CAQ ait dépensé à des «magnitudes inédites», créant plusieurs nouveaux organismes publics.

Le député caquiste d’Abitibi-Est, Pierre Dufour, partage le point de vue de son collègue concernant le nombre de fonctionnaires. «La grosseur de l’appareil de l’État, on avait dit qu’on s’y attaquerait, et plus ça allait, vous avez vu les statistiques, ç’a augmenté», a-t-il dit dans les couloirs de l’Assemblée nationale jeudi.

Youri Chassin est député de Saint-Jérôme depuis l’arrivée au pouvoir de la CAQ, en 2018. Il est économiste de formation.

Il fait partie de l’aile conservatrice de la CAQ. Avant son arrivée en politique, M. Chassin a notamment été directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal (IEDM), un laboratoire d’idées de droite économique.

À la suite de l’élection de 2022, il avait avoué être «déçu» de ne pas avoir été nommé ministre, mais il avait choisi de rentrer dans le rang, se disant «fier» de faire partie de l’équipe de la CAQ.

«Monde de radicaux économiques et de libertariens»

Les partis d’opposition à Québec ont profité du départ de Youri Chassin pour écorcher la CAQ.

«On connaît les orientations idéologiques de M. Chassin: plus de coupes, plus de privatisations. La question qui se pose, c’est: allons-nous aller vers plus de coupes et plus de privatisations, donc vers de l’austérité? On sait à quel point l’austérité du Parti libéral a fait mal au Québec», a dit le député solidaire Haroun Bouazzi, ajoutant que Youri Chassin vivait dans un «monde de radicaux économiques et de libertariens».

Pointant les nombreuses volte-face du gouvernement dans différents dossiers, le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon a affirmé que «le constat qu’on ne peut pas se fier à la parole de François Legault, il est désormais partagé au sein de ses propres députés». Selon lui, il y aura d’autres départs à la CAQ.

«Youri Chassin nous donne raison. (…) Il y a un député qui s’est présenté avec François Legault en 2018, qui s’est représenté avec François Legault en 2022, qui fait le même constat que nous, l’opposition officielle libérale: les Québécois, François Legault nous a endettés comme jamais. C’est le « king » des déficits. Et les Québécois sont doublement perdants parce qu’ils n’ont pas les services», a affirmé le chef libéral intérimaire Marc Tanguay.

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