Les jeunes et les écrans: une expérimentation à grande échelle, déplore une experte

Caroline Plante, La Presse Canadienne
Les jeunes et les écrans: une expérimentation à grande échelle, déplore une experte

QUÉBEC — La tablette à l’école est une «erreur», selon l’avocate et spécialiste en théorie éducative Catherine L’Ecuyer, qui croit qu’«on a fermé les yeux» au nom de la supposée «modernité» et du «progrès».

«On a tenu plein de choses pour acquis», a déploré Mme L’Ecuyer lors de sa participation, lundi, à la commission spéciale transpartisane sur les impacts des écrans sur les jeunes.

Or, la preuve n’a jamais été faite que la tablette a des effets positifs sur l’apprentissage. Les entreprises technologiques seraient également restées silencieuses sur les effets négatifs.

«On est en 2024, les tablettes ont été introduites dans les salles de classe en 2015, et on est toujours en train de réclamer les preuves. On ne les a pas», a souligné Mme L’Ecuyer.

«On a fermé les yeux, on a dit: « Ok, on va rentrer ça dans les classes parce que ça a l’apparence de modernité et de progrès » et puis là, on se rend compte que ça ne fonctionne pas.»

«Les professeurs se plaignent, les parents sont déboussolés. (…) Ça a été une erreur. (…) La tablette n’est pas un outil pédagogique», a-t-elle martelé, dénonçant plus généralement une «expérimentation à grande échelle».

La chercheuse conclut qu’on ne peut pas faire confiance aux entreprises technologiques, qui offrent des «cadeaux» à des directeurs d’école, financent la recherche et commanditent les congrès pédagogiques.

«Laisser les entreprises technologiques décider de ce qui doit entrer ou non dans une salle de classe, c’est comme confier à Pizza Hut le soin de préparer le menu des cantines scolaires», a-t-elle lancé.

«Il est temps de mettre de l’ordre dans tout ça», a-t-elle ajouté.

Catherine L’Ecuyer propose une piste de solution: exiger plus de transparence de la part de ces entreprises pour mieux comprendre à qui elles donnent de l’argent.

De plus, elle se demande pourquoi on donnerait aux jeunes accès aux réseaux sociaux, alors que pour l’alcool, le tabac et la pornographie, c’est 18 ans.

Elle est en faveur de l’imposition d’une majorité numérique à 16 ans, comme le souhaitaient les jeunes caquistes, même qu’elle prédit que d’ici cinq ans, plusieurs pays dans le monde rehausseront l’âge à 18 ans.

Oui, cette règle sera probablement contournée, mais on aura au moins «lancé le message» que les réseaux sociaux sont nocifs, voire «destructifs», selon elle.

Vivement la majorité numérique

L’auteure et psychiatre américaine Victoria Dunckley est totalement d’accord: il faut interdire aux mineurs l’accès aux réseaux sociaux. Elle souhaite aussi voir le téléphone cellulaire complètement banni des écoles.

À l’heure actuelle, au Québec, il est interdit d’utiliser son cellulaire en classe, sauf exception. Les élèves peuvent toutefois s’en servir pendant les pauses et sur l’heure du dîner.

Selon Mme Dunckley, une fois le cellulaire banni, les jeunes vont se sentir «soulagés», et leur niveau d’anxiété diminuera.

Elle a expliqué à la commission que les écrans dérégularisent le système nerveux, désensibilisent les récepteurs de dopamine, suppriment la mélatonine, «éteignent» le lobe frontal.

Résultat: les jeunes se conduisent de façon plus «primitive». Ils sont plus irritables, trouvent tout ennuyeux, ont de la difficulté à se concentrer. «On ne peut pas apprendre dans des conditions comme ça», dit-elle.

Elle recommande des périodes de jeûne informatique (screen fasting) d’au moins quatre semaines pour aider le cerveau à se «resynchroniser». Pendant le jeûne, la personne serait vite «plus relax, plus engagée».

Mme Dunckley invite par ailleurs les écoles à ne pas imposer la tablette, à permettre le bon vieux papier et crayon, et à encourager le sport, la musique et les arts, d’excellentes activités pour le développement du cerveau.

Écrans et développement global

Lundi, une troisième experte, la professeure associée à la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke Caroline Fitzpatrick, est venue échanger avec les élus membres de la commission.

Mme Fitzpatrick a expliqué avoir effectué une étude longitudinale durant la pandémie qui a démontré qu’un temps d’écran plus important pendant la petite enfance menait à un moins bon développement global.

Risque de surpoids, mauvaise gestion des émotions, moins d’autocontrôle, moins bonnes fonctions exécutives, les effets des écrans sur le développement des enfants sont nombreux, a-t-elle dit.

Par ailleurs, les parents qui étaient les plus grands utilisateurs d’écrans avaient les enfants avec le moins bon développement global, selon les résultats de ses travaux.

De son côté, la Fédération des centres de services scolaires du Québec a défendu l’utilisation des technologies en classe, disant ne pas vouloir former des «analphabètes numériques».

«Les écoles, ce sont des maisons d’enseignement. L’objectif, c’est que les enfants, qui deviendront les adultes de demain, puissent bien avancer», a déclaré son président-directeur général adjoint, Dominique Robert.

Les consultations se poursuivent jusqu’au 26 septembre. La commission spéciale doit également faire une tournée dans des écoles, avant de déposer son rapport au plus tard le 30 mai 2025.

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