PARIS — François Legault persiste et signe: la moitié des demandeurs d’asile déjà établis au Québec doivent être déplacés vers d’autres provinces. Le premier ministre du Québec refuse toutefois de dire comment il s’y prendrait.
Après avoir fait grand bruit mercredi avec son idée de déplacer de force 80 000 demandeurs d’asile, M. Legault, qui est en visite à Paris, renvoie la balle au gouvernement fédéral pour qu’il trouve des solutions.
«Ils doivent en déplacer la moitié, a-t-il insisté en mêlée de presse, jeudi. Ce n’est pas à moi à choisir le modèle. (…) C’est le gouvernement fédéral qui en a laissé entrer beaucoup trop au Québec, c’est à eux autres à ramener ce nombre-là à un chiffre raisonnable.»
Quels critères détermineraient qui devrait partir, a voulu savoir un journaliste. «C’est au gouvernement fédéral (de décider), a répondu M. Legault, visiblement irrité par les questions. Ce qu’on dit, c’est qu’il y en a beaucoup trop.»
Il a par ailleurs reconnu qu’il n’avait pas sollicité d’avis juridique sur les transferts obligatoires, qui pourraient contrevenir à la Charte canadienne des droits et libertés, selon Ottawa.
«Ce n’est pas moi qui va commencer à analyser les impacts des différentes solutions sur la Charte des droits et libertés, c’est au gouvernement fédéral. (…) Je n’ai pas analysé ça et je n’ai pas l’intention de l’analyser non plus», a-t-il lâché.
Dans un document datant de juillet, Ottawa indique que «la réinstallation des demandeurs d’asile» doit se faire sur une «base volontaire», car «il n’existe pas de pouvoir législatif pour forcer le(ur) transfert (…) vers une autre province».
Si on les oblige à se déplacer, ils pourraient faire valoir leur droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte, prévient-on. Jeudi, M. Legault a admis qu’il n’avait pas pris connaissance «dans le détail» de ce document.
Le ministre québécois de l’Immigration, Jean-François Roberge, a tenu à nuancer les propos de son chef jeudi matin à l’Assemblée nationale. Pour lui, il n’est pas question de «déraciner» les demandeurs d’asile.
«Si on leur dit: dans un mois, on va vous aider à vous relocaliser, par exemple en Nouvelle-Écosse, où on va vous donner votre carte d’assurance maladie, vous aider à vous loger, ça ne veut pas dire déraciner une famille ou sortir des enfants d’une école», a-t-il illustré.
Rencontre avec Michel Barnier
François Legault a été reçu jeudi matin à l’Hôtel de Matignon par son homologue français fraîchement entré en poste, Michel Barnier, pour un entretien au cours duquel il avait annoncé qu’il discuterait d’immigration.
M. Legault, qui est le premier chef de gouvernement que M. Barnier recevait à Matignon, a été accueilli avec les grands honneurs: tapis rouge et garde républicaine alors que sa voiture faisait son entrée dans la cour d’honneur.
C’est une rencontre «très importante», a répondu M. Barnier aux journalistes alors que les deux hommes montaient les marches, tout sourire. Cette chaleur tranchait d’ailleurs avec la température fraîche de cette journée maussade à Paris.
Outre ces deux mots, M. Barnier ne s’est pas adressé à la presse, tant en accueillant son invité que 45 minutes plus tard en le saluant à la fin.
Les Québécois «bousculés» par l’immigration
Mercredi soir, lors d’une entrevue en direct à TV5 Monde, M. Legault a déclaré que les Québécois ont «exactement le même sentiment» que les Français d’être «un peu bousculés par le nombre» d’immigrants.
Et l’anglais est «une vraie menace», a-t-il affirmé en reprenant les mots du présentateur. «Si on dit aux nouveaux arrivants: « vous pouvez parler la langue que vous voulez », en Amérique du Nord, c’est tentant de dire: « je vais aller sur internet, je vais aller sur Netflix, sur Spotify, puis toute ma vie va se passer en anglais ». Ça veut dire que dans 25 ans, dans 50 ans, qu’est-ce qu’il restera du français à Montréal?»
M. Barnier a déclaré mardi dans son discours inaugural au Parlement qu’il veut «mieux contrôler» le nombre de personnes venant en France et a proposé de «faciliter» la détention des étrangers qui séjournent illégalement dans le pays en attendant la mise en œuvre des ordres d’expulsion.
Le même jour, en mêlée de presse, M. Legault, tout juste arrivé dans l’Hexagone, avait demandé à Ottawa d’instaurer des «zones d’attente» pour les demandeurs d’asile comme il se fait en France et même de les déplacer dans d’autres provinces.
En France, un étranger arrivant par bateau, train ou avion peut être placé en zone d’attente à la frontière s’il demande l’asile, si l’entrée lui est refusée ou si l’embarquement vers le pays de destination finale lui a été refusé. Cela peut durer jusqu’à 26 jours.
Mercredi, M. Legault a renchéri avec une nouvelle demande. Selon lui, Ottawa devrait carrément forcer la moitié des 160 000 demandeurs d’asile présents au Québec à déménager dans d’autres provinces, ce qui a provoqué l’indignation du gouvernement fédéral qui l’accuse de tenir des propos presque «inhumains».
Expulser en fonction de la langue?
Sur l’heure du midi, jeudi, François Legault s’est rendu au siège de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Il s’agit de la seule institution de l’ONU qui accueille un représentant du Québec.
«La culture, ce n’est pas un bien comme les autres. La culture, ça fait partie de ce que nous sommes, ça fait partie de ce qu’on est. Et une nation qui perdrait sa culture, elle ne serait pas exactement elle-même. Elle serait comme étrangère», a-t-il déclaré.
M. Legault, dont les prochains jours seront dédiés au Sommet de la Francophonie, a réitéré que l’enjeu de la découvrabilité des contenus culturels francophones représente un défi criant.
Jeudi, le dernier élément de son programme était une rencontre avec l’ancien premier ministre français et président du groupe des députés macronistes, Gabriel Attal, qu’il avait reçu à Québec le printemps dernier.
Lors d’une prise de photos pour les médias, le premier ministre québécois a demandé à M. Attal si la France pouvait «expulser un demandeur d’asile qui ne parle pas français».
«Ben, enfin, sur les demandeurs d’asile ce sera compliqué, mais on peut leur demander de suivre une formation pour rester en France», lui a répondu son interlocuteur.