Hydro-Québec cède le terrain qui accueillera le futur parc du Monument irlandais

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Hydro-Québec cède le terrain qui accueillera le futur parc du Monument irlandais

MONTRÉAL — La dernière pièce du casse-tête qui permettra au rêve des Irlandais de Montréal de devenir réalité a été placée, jeudi, avec le don d’Hydro-Québec de 3,4 acres de terrain à la Fondation du parc du Monument irlandais aux abords du pont Victoria.

Très peu des quelque 23 000 automobilistes qui utilisent ce pont savent que, du côté montréalais, ils roulent sur la plus grande fosse commune au Canada où se trouvent les restes d’environ 6000 victimes irlandaises du typhus, enterrées là en 1847.

La société d’État a annoncé avoir cédé à la Fondation pour 1 $ le terrain qui longe son nouveau poste des Irlandais alors qu’elle procédait à sa mise en service. Le poste électrique permettra d’alimenter Griffintown, l’ouest du centre-ville de Montréal et le REM, qui passe tout juste à côté.

Découverte de restes humains

C’est d’ailleurs l’excavation nécessaire à l’installation d’un pilier du REM qui a révélé la présence des restes humains de 14 personnes, une découverte significative, selon l’archéologue d’Hydro-Québec, Martin Perron. «Ça nous a permis de vraiment localiser le cimetière des Irlandais, cette grande fosse commune qui a servi à inhumer les 6000 corps de gens qui sont décédés du typhus. On savait qu’il était là, les sources historiques, les plans anciens, le localisaient, mais les plans anciens ne sont pas toujours très précis. Avec la découverte de ces restes humains dans le pilier du REM, ça nous a permis de vraiment géo-référencer l’endroit.»

Le site, ajoute-t-il, s’est avéré «très riche en artefacts. On a des artefacts qui sont directement liés au camp des Irlandais, mais on a aussi des artefacts qui viennent des occupations postérieures, c’est-à-dire le quartier Goose Village et Victoria-Town et aussi de l’Autostade de Montréal qui était lié aux célébrations d’Expo 67. Donc, on a réussi à trouver des vestiges et différents artefacts associés à cette grande période d’occupation qui va de 1847 jusqu’au début des années 1980.»

«Un terrain sacré»

Le sort tragique des Irlandais morts du typhus était déjà commémoré par le monument du Rocher irlandais, aussi appelé le Black Rock, mais celui-ci est pratiquement inaccessible, érigé sur un minuscule îlot de verdure au milieu des quatre voies de la rue Bridge à la sortie du pont. Le don d’Hydro-Québec permettra maintenant d’ériger un véritable espace commémoratif très élaboré, explique le trésorier de la Fondation du parc du Monument irlandais, Scott Phalen. «D’avoir les 4 arpents (ce qui équivaut à 3,4 acres) de terrain à côté du Rocher permettra finalement à un parc commémoratif d’être construit sur le site», s’emballe-t-il après des années de discussions et d’efforts de la communauté irlandaise.

«C’est un terrain sacré pour nous et c’est vraiment un terrain dont l’historique est incroyablement important pour le Québec, pour Montréal et pour le Canada.»

Il rappelle que durant six mois de 1847, 75 000 réfugiés irlandais sont arrivés au port de Montréal alors que la population de Montréal n’était que de 50 000 personnes.

L’accueil des réfugiés

«Les gens du Québec et de Montréal ont ouvert leurs bras, ils ont ouvert leur cœur, ils ont ouvert leurs portes, ils ont donné des jobs, ils ont adopté les orphelins, ils ont donné de la nourriture, ils ont donné des vêtements et on parle de 75 000 personnes. C’est beaucoup de travail et ils n’étaient pas prêts pour cette invasion. C’était une surprise pour toute la population, mais en même temps, ils ont dit: il faut qu’on aide les pauvres réfugiés.»

Il poursuit avec passion: «C’est la plus grande action humanitaire dans l’histoire du Canada. Ça en dit long sur notre caractère, sur nos actions et ça dit aussi que nous sommes capables de faire mieux au point de vue des personnes partout dans le monde qui cherchent une meilleure vie.»

La Ville de Montréal a déjà prévu de détourner la rue bridge vers l’est à la sortie du pont Victoria afin de créer un grand espace pour le parc commémoratif qui devrait voir le jour d’ici cinq ans environ et dont le Black Rock sera la pièce centrale.

Un monument noirci par la pollution

C’est en 1859 que les ouvriers qui construisaient le pont Victoria avaient retiré un gros rocher du fleuve Saint-Laurent pour le placer à cet endroit après avoir découvert les restes d’un certain nombre de victimes irlandaises. La plupart des travailleurs étaient eux-mêmes irlandais et on peut facilement imaginer qu’ils avaient été touchés de près ou de loin par les tristes événements survenus à peine 12 ans plus tôt.

Au fil du temps, avec la proximité du chemin de fer et le trafic intense, le Rocher irlandais, initialement gris pale, a pris une couleur noire profonde à cause de la pollution, de sorte qu’il est devenu pour tous le Black Rock.

La Grande Famine d’Irlande aurait fait environ un million de victimes, selon les estimations historiques, et un autre million ont fui le pays, dont environ 100 000 qui se sont dirigés vers le Canada, qui était alors une colonie de l’Amérique du Nord britannique.

Fauchés par la fièvre des navires

Le typhus, une maladie très contagieuse et mortelle que l’on appelait à l’époque la «fièvre des navires», a tué des milliers d’entre eux en mer, puis les escales se sont transformées en cauchemars successifs: certains furent enterrés autour de St. Andrew’s au Nouveau-Brunswick, puis des milliers d’autres furent interceptés à Grosse Île, connue à l’époque comme «l’île de la Quarantaine» et devenue aujourd’hui un site historique national. À cet endroit, où l’on a au moins tenté d’enregistrer les décès, plus de 5000 de ces personnes sont décédées et y furent enterrées.

Mais les hommes, femmes et enfants «jugés en bonne santé» étaient autorisés à poursuivre leur route vers Montréal, amenant ainsi le typhus avec eux. On estime ainsi qu’ils étaient environ 75 000 à débarquer à Montréal.

Le maire de Montréal à l’époque, John Mills, avait alors fait construire plus d’une vingtaine de grandes «cabanes à fièvre» (50 pieds par 100 pieds selon les archives) dans le quartier Pointe-Saint-Charles et c’est à ce moment qu’avait débuté une remarquable opération de solidarité dirigée par le maire Mills et les Sœurs grises.

Les citoyens iront aussi massivement porter secours, soins et réconfort durant cette période et beaucoup d’entre eux, dont le maire Mills lui-même, y laisseront leur vie, de sorte qu’ils comptent parmi les morts ensevelis dans cette fosse commune.

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