Des femmes quittent la politique ayant l’impression d’avoir été des «plantes vertes»

Caroline Plante, La Presse Canadienne
Des femmes quittent la politique ayant l’impression d’avoir été des «plantes vertes»

QUÉBEC — Les femmes quittent volontairement la politique non pas à cause du sexisme, des doubles standards ou de la conciliation travail-famille, mais parce qu’elles se sentent sous-utilisées.

Voilà la conclusion d’Alexandre Dumas, historien et auteur de l’étude «Pourquoi les femmes quittent-elles la politique?» commandée par le comité des femmes du Cercle des ex-parlementaires de l’Assemblée nationale après la vague de départs de 2022.

Ce qui ressort de ses entrevues avec 21 anciennes élues, c’est qu’elles ont eu l’impression de jouer la «plante verte», explique-t-il en entretien au Parlement, reprenant la célèbre expression de l’ex-députée caquiste devenue conservatrice, Claire Samson.

Lors de son dernier point de presse, en juin 2022, Mme Samson en avait choqué plusieurs en déclarant que les députés faisaient office de «plantes vertes» au Salon bleu, et qu’elle avait personnellement trimé plus dur à 17 ans au Da Giovanni.

Selon M. Dumas, Claire Samson — qui était outrée de devoir poser des questions scriptées d’avance en commission parlementaire — «illustre parfaitement la frustration suscitée par le sentiment de jouer un rôle d’apparat».

«Les élues qui quittent la politique (…) ont eu l’impression que leurs compétences n’étaient pas reconnues et de n’avoir d’autre utilité que de faire acte de présence en Chambre pour assurer le quorum, (…) autrement dit de jouer le rôle de « plante verte »», écrit-il dans son essai.

«On leur demande de lire des lignes de communication aux journalistes, de voter des projets de loi qu’elles n’ont pas eu le temps de lire et sur lesquels on ne leur demande pas d’avoir une opinion de toute façon, on leur donne les questions qu’elles doivent lire en commission parlementaire», précise-t-il en entrevue.

Cette frustration peut très bien être partagée par les hommes, mais contrairement aux femmes, ceux-ci ont tendance à vouloir rester en poste, explique-t-il.

Il souligne que près des deux tiers des élus qui ne se sont pas représentés en 2022 étaient des femmes, bien qu’elles ne constituaient que 44 % de la députation au moment de la dissolution de la Chambre.

«Les hommes sont plus nombreux à faire de la politique une carrière, dit-il. (Les femmes), au final, se demandent: « Pourquoi on fait ces sacrifices-là? Pourquoi on est en train de faire ça? »»

Il existe des obstacles à la persévérance des femmes en politique: sexisme, microagressions, doubles standards dans les médias, cyberharcèlement, conciliation travail-famille, énumère le chercheur.

«Les entrevues ne donnent cependant pas l’impression que ces facteurs ont été déterminants», écrit-il.

«C’est lorsqu’elles ont l’impression qu’elles ne peuvent bien jouer leur rôle ou que leur fonction pourrait être occupée par quelqu’un d’autre sans que cela fasse une différence qu’elles prennent la décision de quitter.»

Revoir le rôle du député

L’ancienne députée et ministre péquiste Marie Malavoy, qui est aujourd’hui impliquée au sein du Cercle des ex-parlementaires, croit qu’une réflexion collective s’impose.

«Là, on a un problème, dit-elle en entrevue. Nous, on travaille depuis des années à faire entrer des femmes en politique, à les attirer, (…) mais si elles entrent et elles ne tiennent pas le coup, (…) on n’est pas plus avancées. (…) C’est un panier percé.»

Rappelons qu’en 2022, le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, s’est engagé à procéder à une réforme parlementaire, afin notamment de revaloriser la fonction de député.

Il proposait entre autres de créer une chambre de délibération parallèle au Salon bleu, la Chambre des affaires citoyennes, pour y entendre les «affaires des députés» (dont ceux du parti au pouvoir).

Il prévoyait aussi «une nouvelle rubrique offrant une tribune supplémentaire aux parlementaires pour débattre, entre autres, de projets de loi qui n’émaneront pas du gouvernement».

Pour que le projet se concrétise, des discussions doivent encore avoir lieu avec les autres partis représentés à l’Assemblée nationale.

Dans le cadre de sa recherche, Alexandre Dumas a interviewé, entre novembre 2023 et mai 2024, 21 politiciennes qui ont choisi de ne pas se représenter aux élections de 2018 et 2022.

Il a pu bénéficier du soutien financier du secrétariat à la Condition féminine, du ministre de la Justice ainsi que du ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.

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