Les élus municipaux font de l’ingérence car ils ignorent les limites de leur pouvoir

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

MONTRÉAL — La Commission municipale du Québec (CMQ) a déposé, vendredi, un rapport portant sur les questions d’ingérence des élus dans les affaires courantes de la municipalité où l’on retrouve quelques exemples d’ingérence et un contre-exemple, où la crainte d’ingérence a permis à une employée de perpétrer une fraude plus de 300 000 $.

L’objectif de la Commission avec ce rapport était de rappeler le besoin de bien former les élus municipaux sur leur rôle et responsabilités, particulièrement en matière d’ingérence.

Le rapport présente des cas d’ingérence d’élus dans des dossiers qui relèvent de l’administration municipale, bien souvent par volonté de bien faire, mais tout de même prohibés.

Fraude de 305 000 $

C’est toutefois le contre-exemple, celui de Saint-Simon-de-Rimouski, qui est le plus frappant. Le dossier, largement médiatisé, est celui de la directrice générale, Fanny Beaulieu Saint-Laurent, qui est soupçonnée d’avoir détourné à son profit quelque 305 000 $ de la municipalité. Elle fait d’ailleurs face à une série d’accusations, dont fraude et abus de confiance de la part d’un fonctionnaire à la suite d’une enquête de l’Unité permanente anticorruption (UPAC). Appréhendée en septembre 2024, elle doit comparaître plus tard en octobre.

On peut imaginer l’impact d’une telle fraude, qui aurait été commise en 2021 et 2022, sur les finances d’une municipalité dont le budget est d’un peu moins de 1,5 million $.

Le rapport de la Commission note que d’après l’enquête de la Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale (DEPIM), «l’ancien maire et les membres du conseil posaient régulièrement des questions à la direction générale sur les finances de la Municipalité, laquelle répondait en affirmant que « tout allait bien ». Cependant, les membres du conseil étaient incapables d’obtenir la documentation nécessaire pour confirmer ses dires.»

Le maire craignait l’ingérence

L’ancien maire avait demandé s’il avait le pouvoir de forcer la direction générale à lui transmettre les documents requis pour valider les informations transmises. Or, on lui aurait répondu que non et qu’une telle tentative serait de l’ingérence.

La DEPIM estime au contraire que le maire a le devoir de veiller «à ce que les revenus de la municipalité soient perçus et dépensés suivant la loi» et qu’il doit pouvoir accéder « à tous les documents de la municipalité et obliger tout fonctionnaire ou employé à lui fournir tout document ou tout renseignement».

Sans détenir les mêmes pouvoirs, les conseillers municipaux quant à eux ont droit à «toute documentation utile à la prise de décision […] au plus tard 72 heures avant l’heure fixée pour le début de la séance» du conseil municipal et qu’«il incombe à la direction générale de veiller à la disponibilité de la documentation».

Voilà ce qu’il en est lorsqu’il est question du pouvoir d’agir qu’ont les élus municipaux sans qu’ils ne s’exposent à être accusés d’ingérence.

Ingérence avérée

Là où l’ingérence se manifeste, c’est dans des cas comme ceux de quatre municipalités qui ont également fait l’objet d’enquêtes de la DEPIM qui a conclu que des élus avaient effectivement transgressé les règles qui entourent leurs fonctions.

Certains de ces exemples peuvent sembler anodins, voire un peu drôles, mais ils n’en demeurent pas moins des écarts de conduite selon la Loi sur les cités et villes et la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale.

Dans certains des cas, les élus étaient membres de comités et, de ce fait, se croyaient habilités pour intervenir, ce qui n’était pas le cas: ces comités ont une fonction de conseil et non d’intervention.

Dans la municipalité Canton de Havelock, en Montérégie, le maire et trois conseillers, qui formaient un comté «voirie», se donnaient comme tâche d’effectuer une surveillance des routes et se faisaient rembourser leurs déplacements. Or, tranche la DEPIM, il s’agit là d’ingérence puisque cette tâche incombe aux employés de la municipalité.

Un aménagement paysager bénévole

Dans la municipalité de Paroisse de Sainte-Justine-de-Newton, là aussi en Montérégie, la DEPIM a reçu une plainte à l’effet qu’un conseiller municipal «aurait excédé l’exercice de ses fonctions en effectuant lui-même un aménagement paysager sur un terrain municipal», et ce, bénévolement. Même si la DEPIM conclut à de l’ingérence puisqu’il s’agit encore là d’une tâche réservée aux employés municipaux, elle «ne peut conclure à un acte répréhensible en raison de l’absence de conséquence grave ou de préjudice sérieux».

À Lac-des-Plages, en Outaouais, la DEPIM note que 16 comités ont été formés avec des «responsables» de «dossiers» alors qu’il aurait plutôt dû être question de «membres de comité ou de commission qui ont comme unique rôle d’étudier des questions et de recommander des prises de position». Une demande de financement d’association a ainsi été traitée et rejetée par un de ces «responsables de dossier» et le tout a été traité comme un refus de la municipalité. Encore là, la DEPIM a conclu «à un acte répréhensible commis à l’égard de la Municipalité en raison de la conséquence réelle du geste sur le financement de l’activité de l’association».

Un maire qui en mène large

Enfin, le dernier cas relevé dans le rapport est celui de Saint-Aimé-du-Lac-des-Îles, dans les Laurentides, où «le maire de la municipalité aurait engagé des dépenses pour le compte de celle-ci et il aurait interrompu l’exécution de travaux à quelques occasions». La DEPIM constate certaines irrégularités dans l’achat d’un camion, sans y voir un grave problème, mais juge beaucoup plus sévèrement l’obtention par le maire d’une promesse de vente pour l’achat d’une structure de 115 000 $ devant recouvrir une patinoire municipale «sans impliquer l’administration municipale ou obtenir de résolution préalable du conseil».

«À notre avis, écrit la DEPIM, le maire ne pouvait et ne devait pas faire de démarches unilatérales afin d’obtenir une promesse de vente pour la Municipalité. (…) Il semble qu’en raison du produit ciblé par cette démarche, la Municipalité a omis de procéder à l’acquisition de cette structure en respectant les règles d’acquissions établies par la loi (puisqu’il) était nécessaire de procéder par demande de soumission publique lorsque le montant excédait la somme de 101 100 $.»

La DEPIM estime que «l’acquisition a été faite de manière irrégulière et entend soumettre le présent dossier à l’Autorité des marchés publics».

Pire encore, les enquêteurs constatent que «la structure a perdu de la valeur au cours des années et des frais d’entreposage, environ 20 000 $, ont été engagés par la Municipalité. L’ensemble de ces coûts n’ont eu aucune utilité pour la population puisque la structure n’a jamais été utilisée».

La nécessité de bien former

En conclusion, la Commission municipale croit que la DEPIM a démontré «une certaine récurrence de la problématique d’ingérence au sein des municipalités du Québec».

«Les enquêtes, précise-t-on, démontrent une incompréhension du rôle consultatif desdits comités ainsi que du fait que la nomination sur un comité n’implique pas de responsabilité individuelle à ses membres.»

Enfin, fait-on valoir, «la volonté exprimée par certains membres du conseil de vouloir exécuter des tâches afin de réduire les coûts pour la municipalité ou aider l’administration, d’avoir plus d’information sur les enjeux municipaux ou encore d’assister des citoyens avec leurs demandes ne permet pas de pallier l’effet néfaste de l’ingérence sur l’organisation municipale. En effet, l’ingérence a un effet déstabilisateur, ce qui peut avoir un impact sur le climat de travail et produire un effet démobilisateur sur les personnes employées par la municipalité.»

Partager cet article
S'inscrire
Me notifier des
guest
0 Commentaires
plus ancien
plus récent plus voté
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires