Chauffage au mazout: des municipalités prennent des mesures pour l’éliminer

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Chauffage au mazout: des municipalités prennent des mesures pour l’éliminer

MONTRÉAL — Certaines municipalités ont commencé à utiliser leur pouvoir de taxation en matière d’éco-fiscalité pour aller chercher des sous dans la poche de leurs contribuables qui chauffent leur résidence au mazout.

Ces systèmes de chauffage sont en voie de disparition au Québec et leur remplacement est assez généreusement subventionné, mais ces municipalités – dont le geste sera sans doute imité par d’autres – ont décidé d’ajouter le bâton à la carotte, bien que l’on parle ici d’un très petit bâton.

Dans la plupart des cas en effet, les municipalités concernées ont annoncé l’imposition d’une taxe de 100 $ par année, certaines un peu plus, d’autres un peu moins.

Symbolique

«C’est plus symbolique qu’autre chose, explique Danielle Pilette, experte en fiscalité municipale au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM. C’est un peu comme un rappel au propriétaire que, éventuellement, il va falloir faire quelque chose à ce sujet-là. Donc on ne donne pas une grosse tape sur les doigts, juste une petite tape symbolique pour lui rappeler que peut-être on peut l’aider dans une transition quelconque et que déjà il y a des programmes qui pourraient l’aider.»

De son côté, le fiscaliste Tommy Gagné-Dubé, spécialiste de la fiscalité des administrations locales à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, n’est nullement surpris de voir apparaître cette nouvelle ponction. «C’est une nouvelle possibilité que les municipalités ont depuis 2018 qui leur a été accordée avec le pouvoir général de taxation et c’est une mesure qu’on peut qualifier d’éco-fiscalité. Il n’y a pas beaucoup de municipalités qui l’ont adoptée encore, mais c’était attendu que des municipalités adoptent des mesures comme celle-là quand le cadre réglementaire, le cadre légal a été changé.»

Des approches disparates

Un bref survol de La Presse Canadienne a permis de constater qu’il n’y a aucune uniformité dans l’approche des municipalités. Certaines, comme Saint-Hyacinthe qui réclame 100 $, imposent cette taxe sans offrir d’aide financière en complément de celles offertes par les gouvernements ou Hydro-Québec pour la conversion.

D’autres, comme Joliette, Beloeil, Gatineau, Granby ou Repentigny, n’ont que la carotte, soit une aide additionnelle à celle versée par les pouvoirs publics pour le démantèlement des systèmes de chauffage au mazout allant de quelques centaines à quelques milliers de dollars, sans réclamer quelque taxe que ce soit.

Enfin, des municipalités comme Rosemère, Laval, Sainte-Julie ou Varennes utilisent à la fois la carotte et le petit bâton avec une taxe de 50 $ à 100 $ selon le cas, accompagnée d’une aide financière qui peut être substantielle. Fait à noter, les résidants de Varennes qui chauffent au mazout ont reçu un avis de la Ville leur indiquant que la taxe de 100 $ serait appliquée à compter de 2025, mais nulle part dans la lettre qui leur a été envoyée et dont La Presse Canadienne a obtenu copie, n’est-il mentionné que la Ville offre aussi de bonifier de 25 % les subventions reçues par les divers programmes des gouvernements fédéral et provincial et d’Hydro-Québec. Comme la subvention maximale de ces trois entités est de 6275 $ pour la conversion des systèmes de chauffage au mazout à l’électricité, l’aide de la municipalité peut ainsi atteindre 1568,75 $.

Manque de transparence

«La lettre aurait dû mentionner les mesures incitatives, affirme la professeure Pilette. Les municipalités ne font pas toujours une communication optimale pour le citoyen ou le contribuable. Je dirais même que ce n’est pas très transparent.»

Une chose est claire, affirme toutefois Tommy Gagné-Dubé: les municipalités qui imposent une telle taxe ne rempliront certainement pas leurs coffres avec cette mesure, encore moins si elles subventionnent à une hauteur qui la dépasse de beaucoup. «Ce ne sont pas des mesures qui rapportent beaucoup, surtout si elles sont rattachées à des subventions. Ce sont vraiment des mesures pour changer les comportements. C’est d’abord et avant tout un signal qui est lancé.»

Impossible par ailleurs, de savoir combien de municipalités ont adopté des mesures – carotte ou bâton – liées au chauffage au mazout. Le ministère des Affaires municipales dit n’avoir aucune donnée à ce sujet. Même réponse du côté de l’Union des municipalités du Québec (UMQ).

Pouvoirs fiscaux élargis

L’UMQ s’est toutefois empressée de dire que les villes peuvent très certainement imposer ce genre de taxe sans offrir quelque service que ce soit en retour. «Les municipalités possèdent des pouvoirs fiscaux qui permettent de diversifier leurs sources de revenus afin de maintenir et améliorer la qualité des infrastructures et des services essentiels à tous les citoyens», nous a écrit le service des relations média de l’Union.

Le ministère des Affaires municipales, lui, n’a pas de statistiques non plus et abonde dans le même sens que l’UMQ. «Depuis 2018, les municipalités disposent d’un pouvoir général de taxation (PGT) pour financer leurs activités. Le pouvoir général de taxation habilite les municipalités à imposer par règlement toute taxe directe sur leur territoire. Les municipalités ne sont pas tenues d’informer le ministère de la mise en place d’une telle taxe», nous a-t-on répondu.

Quant à la ministre Andrée Laforest elle-même, son bureau a d’abord rappelé que le ministre de l’Environnement a adopté un règlement visant à éliminer complètement le chauffage au mazout sur l’ensemble du territoire au cours des prochaines années, mais on s’est bien gardé de commenter le bien-fondé de la démarche municipale. «Certaines municipalités ont pris la décision d’imposer une taxe aux citoyens utilisant un système de chauffage au mazout. Cette décision relève de l’autonomie municipale, il revient donc aux élus municipaux de justifier ce choix», nous a-t-on écrit.

Les ménages à faible revenu pénalisés?

Une question reste en suspens: la conversion d’un système de chauffage au mazout résidentiel vers un système électrique est une opération coûteuse. Bien que les subventions peuvent en couvrir quelques milliers de dollars, l’investissement requis par le propriétaire implique des sommes beaucoup plus importantes. Faut-il en déduire que ceux qui persistent à utiliser le mazout n’ont pas les moyens de convertir leur système et, donc, seront davantage pénalisés par une taxe?

«Il faudrait qu’on ait un portrait précis de ces gens-là, avertit le professeur Gagné-Dubé. Est-ce que ce sont des gens qui sont à plus faible revenu? Est-ce que ce sont des gens qui sont habitués avec ces systèmes de chauffage et qui ne veulent pas nécessairement se lancer dans ces rénovations-là, dans ces changements?»

À défaut d’une étude plus poussée, ce sont donc des conclusions qu’on ne saurait tirer.

Une disparition programmée

Depuis le 31 décembre 2021, il est interdit d’installer un appareil de chauffage au mazout dans les nouvelles constructions au Québec et depuis le 31 décembre 2023, toute installation d’un appareil de chauffage alimenté par un combustible fossile quel qu’il soit est interdite. Il est également interdit depuis cette date de réparer un appareil de chauffage au mazout installé avant 2003 ou un chauffe-eau au mazout installé avant 2013. En d’autres termes, le refus de changer un système de chauffage au mazout de plus de 20 ans expose un propriétaire à devoir convertir tout le système en cas de panne, et ce, même en plein hiver.

D’après le ministère de l’Environnement, quelque 200 000 ménages québécois possèdent encore un appareil de chauffage au mazout, sur un total, selon l’Institut de la statistique, de 3,75 millions de ménages privés. Ces appareils génèrent au Québec environ un million de tonnes de CO2 par année, soit l’équivalent de 300 000 véhicules légers. Le chauffage au mazout est ainsi responsable de plus du quart des émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur résidentiel, selon le ministère de l’Environnement.

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